Alice Sweet Alice : Horreur au pays des merveilles

Cette rentrée en veut décidément à nos cartes de crédits. On ne compte plus les différents éditeurs qui proposent de belles pépites en vidéo. On ne sait vraiment plus où donner de la tête. En ce qui concerne Rimini Éditions, une des nouvelles entrées dans leur catalogue se nomme Alice Sweet Alice. Sorti en 1976 lors de l’éclosion d’un nouveau sous-genre horrifique qui aura le vent en poupe pendant des années par la suite (le slasher), le second long métrage d’Alfred Sole n’eut pas le succès escompté. Le réalisateur était dans la ligne de mire des conservateurs et du diocèse de sa ville natale qui l’a déchu après la sortie de son premier film, Deep Sleep, un porno dans lequel le héros consulte un gourou afin qu’il lui redonne force et vigueur à l’entre-jambe. Afin de contrebalancer les arguments en sa défaveur, Alfred Sole décide de jouer la carte de la provocation avec Alice Sweet Alice. Il situe son histoire dans la ville de Paterson dans le New Jersey, sa ville natale, et vient nous conter une affaire sordide qui se joue au milieu des fidèles paroissiens de son église. Très inspiré par le film de Nicolas Roeg, Ne Vous Retournez Pas, il n’en retiendra surtout que la silhouette de la petite fille en anorak afin de construire son boogeyman. La censure ne lui fera pas de cadeau et Alice Sweet Alice n’aura pas de sortie en salle. Son distributeur le renie totalement jusqu’à ce que ses droits soient rachetés par une nouvelle maison. Cette dernière censure allègrement le film afin de le distribuer en salle. Le film ne rencontre pas son public. Il ressortira dans les salles en 1981 afin de surfer sur la popularité naissante de l’actrice Brooke Shields qui y incarne son premier rôle à l’écran. Un effort marketing comme ultime espoir pour un film qui finira aux oubliettes et qui ne subsistera que grâce aux souvenirs des spectateurs l’ayant apprécié à sa sortie. Rimini met donc la main sur un proto-slasher totalement oublié et entend bien lui offrir le succès que cherchait son réalisateur.

Alice Spages est une jeune fille très réservée de 12 ans, vivant avec sa mère et sa jeune sœur Karen, qui monopolise toute l’attention de sa mère. Alors que Karen s’apprête à fêter sa première communion, elle est retrouvée sauvagement assassinée dans l’église. Quelques soupçons commencent à peser sur Alice, mais comment une jeune fille de 12 ans pourrait-elle accomplir de tels actes ? Seulement, lorsque d’autres meurtres horribles continuent de survenir dans l’entourage d’Alice, les soupçons semblent se préciser.

Difficile d’appréhender Alice Sweet Alice sans connaître toute l’histoire qui englobe la création du film. Tourné avec un budget dérisoire et sur les propres fonds de son réalisateur, le film a connu énormément d’arrêts de tournage. Entre la tentative de suicide de Linda Miller et les fonds que Sole devaient lever en permanence, on ne peut pas dire que le film ait été créé dans un environnement sain. Pourtant, ce qui frappe à la découverte du film est sa propension à impliquer son spectateur au cœur de l’enquête. S’il ne cache jamais le fait qu’Alice soit une jeune fille perturbée aux mœurs plus que troubles, le scénario parvient à nous intéresser pour tous ses personnages. Alice Sweet Alice est un immense jeu de dupes où chacun des protagonistes possède son lot de péchés enfouis et la coupable n’est peut-être pas celle que l’on croit. Alfred Sole déroute les sens, notamment lors de sa longue exposition (soit jusqu’au meurtre de Karen), par un montage maladroit. Les coupes sont franches, jamais très loin du dépassement de l’axe, le réalisateur cherche à nous perdre dans l’espace afin d’accentuer un sentiment de malaise qui ne nous quittera pas jusqu’à la fin. Intention volontaire ou simple rafistolage dû à la fois aux différents arrêts de tournage et à la censure violente qu’à connu le film ? Le réalisateur ne peut malheureusement plus nous répondre aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, Alice Sweet Alice annonce la couleur dès le départ : vous allez assister à des séquences amorales, saurez-vous tenir le choc ?

S’il se montre amoral envers la protection de l’enfance notamment, Alice Sweet Alice n’est pas un film gratuit pour autant. En effet, le but de Sole n’est pas de faire un procès d’intention à la religion, juste de hurler son droit à créer de l’art sans que cela ne vienne avoir des conséquences sur sa vie privée. Ayant mal vécu sa déchéance après la sortie de son premier film, il se montre nettement plus bienveillant envers l’Église qu’on ne peut le penser. Jamais médisant avec la religion, il se sert de celle-ci afin d’étoffer les traits de caractère de ses personnages. Il se sert du dogme afin d’y dresser les aspects positifs défendus par ce dernier. Sa vraie revanche consiste à y introduire des éléments barbares en son sein, mais qui ne sont pas sans rappeler tous les massacres perpétués au nom de cette religion qu’il a tant pratiqué. Alice Sweet Alice est un juste retour des coups, une application de la loi du Talion dans sa plus féroce cruauté. Là où Alfred Sole dérange énormément réside dans la sexualisation de son héroïne. Plusieurs séquences appuient la gêne souhaitée comme celle où le concierge essaie de violer Alice ou encore l’après-interrogatoire lorsque l’un des policiers parle de la poitrine de celle-ci. Tous les marqueurs sont pointés vers Alice afin de légitimer les meurtres qui entourent l’enfant et en faire la coupable idéale. Bien évidemment, toute la subtilité du scénario sera de savoir si la thèse est fondée ou si nous nous trompons lourdement. Alice Sweet Alice fait tomber ses personnages dans l’excès puisque l’excès demeure le vrai mobile des meurtres. Le film est ainsi très passionnant à suivre puisqu’il relance sans cesse ses enjeux tout en gardant un climat poisseux très palpable. Comme un élastique que l’on tend délicatement jusqu’à éclatement, Alice Sweet Alice prend son temps afin de verser dans l’horreur visuelle, mais soyez assuré que les meurtres valent leur pesant de cacahuètes !

Alice Sweet Alice est un slasher à (re)découvrir de toute urgence. Rimini Éditions proposent une copie blu-ray vraiment propre qui permet d’apprécier le film dans les meilleures conditions possibles. Alfred Sole propose un film à la rencontre des genres, entre thriller psychologique, le film de psycho-killer et le giallo. Il y apporte un soin particulier dans le découpage de la tension et y glisse de l’horreur autant à l’image que dans les non-dits, les regards et les objets inanimés. Alice Sweet Alice est une vraie réussite qui saura ravir les amateurs du genre et, de surcroît, un achat indispensable à effectuer chez Rimini Éditions.

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  1. Maniac Cop : Au nom de la loi, je vous trucide ! -

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