Dans la chambre de Steven Arnold : une soirée avec les fanfreluches…

La XXVIIIème édition de l’Étrange Festival rend hommage cette année à l’un des plus grands artistes et plasticiens de la scène californienne du siècle dernier : l’iconoclaste et prolifique Steven Arnold, créateur de formes saisissantes littéralement « tombé dans la marmite » des exubérances en tous genres dès son plus jeune âge. Artiste intégral Arnold fut entre autres choses dessinateur, photographe, peintre, décorateur, costumier, maquilleur et enfin réalisateur de films de cinéma, contemporain de Andy Warhol ayant créé d’innombrables oeuvres crayonnées et pittoresques dans le même mouvement d’aisance et de spontanéité.

Né un beau jour de mai 1943 Steven Arnold entretient un rapport étroitement lié à l’Art et à la spiritualité dès l’âge de 5 ans, cultivant un goût prononcé pour la décoration d’intérieur et l’embellissement en règle général… Depuis sa chambre d’enfant réaménagée en laboratoire stylisé aux allures de grenier versaillais il imagine d’incessantes visions mêlées de corps transformés et de rayonnements astraux et sidéraux. Esthète à tout prix, considérant l’Art comme un véritable mode de vie Arnold se revendique tout autant des peintures de Clovis Trouille que du cinéma expérimental de Kenneth Anger et des nombreux courts métrages de l’intarissable et émérite Georges Méliès (pionnier du Septième Art et inventeur du truc cinématographique, et dont le célèbre Voyage dans la Lune compte parmi les films préférés de l’artiste américain, ndlr).

C’est au tout début des années 60 que l’artiste met en application le credo de sa professeure d’art Violet Chew, à savoir « exprimer ses joies et ses souffrances à travers l’acte créateur« . Fraîchement diplômé il étudie dans un premier temps au San Francisco Film Institute puis à la fameuse École des Beaux-Arts de Paris avant de réaliser son premier court métrage en 1967 : l’envoûtant et joliment mal taillé The Liberation of the Mannique Mecanique, objet XP ressemblant étrangement à un film Noir et Blanc « en couleurs » et au travers duquel Steven Arnold développe un travail passionnant sur la double exposition photographique. En parallèle de ses nombreuses créations picturales et graphiques et de sa science spirituelle nourrie de ses lectures allant de Carl Jung au Livre des Morts Tibétains en passant par la philosophie bouddhiste il tourne l’année suivante Messages, Messages, film de fin d’études à l’esthétique similaire : 24 minutes de métrage mettant en scène sa muse et actrice fétiche Ruth Weiss dans un maelström aux gammes de gris fascinantes et débarrassé de toute logique narrative préconçue. S’ensuivra Various Incantations of a Tibetan Seamstress, tissage filmique réinventant les textures et le texte visuel à renfort de doubles expositions et de symbolisme mystique agréablement digéré par Arnold…

Il réalise ensuite son premier et unique long métrage (et premier film en couleurs, ndlr) entre l’automne 1969 et le début de 1970 en compagnie de la troupe The Cockettes, groupe de performeurs drag-queens repérés par Arnold lors d’une séance de Nocturnal Dreamshows, équivalent des Midnight Movies de la fin des années 60 : ce sera le resplendissant Luminous Procuress, promenade haptique sur fond d’orgie psychédélique de près d’une heure et quart. Tourné dans le studio très mal insonorisé de la 17ème rue de San Francisco cet objet expérimental aux aspérités certaines dépeint l’errance érotique et obsédante d’un couple d’éphèbes semblant tout droit sortis du More de Barbet Schroeder, jeunes hommes introduits presque à leur corps défendant dans un manoir insituable et atemporel ; autour d’eux se multiplieront les figures féminines et/ou masculines aux airs d’équivoque bienveillant, succession de personnages camp et auto-dérisoires portant le sceau d’un réalisateur modéliste mettant un point d’honneur à faire de la différence et des êtres singuliers le fer de lance d’une Oeuvre libre et moderne à tout point de vue… A sa manière Steven Arnold s’y fait l’émule principal de Kenneth Anger, en reprenant les visions caressantes et miroitantes d’un film comme Puce Moment et les effets de collage d’un Inauguration of the Pleasure Dome L’introspection scopique d’un Scorpio Rising (superbe kammerspiel tourné par Anger en 1963, ndlr) ne manque pas d’infiltrer nos pensées au gré du flux obsessionnel, structurel presque, de ce remarquable Luminous Procuress, immersion XP jalonnée de dialogues inaudibles et polyglottes témoignant de la non-essentialité des balises narratives de tout poil… Préfigurant le très sensoriel Pink Narcissus que James Bidgood sortira à la même époque cette promenade visuelle sans début, ni suite ni fin entretient sa propre logique tout du long, jouant sur les nappes musicales progressives et répétitives de Warner Jepson pour une invitation au lâcher-prise joliment salutaire…

Luminous Procuress est ensuite remarqué par Salvador Dali, le peintre surréaliste en faisant rapidement l’une de ses principales références filmiques. Côtoyant régulièrement Steven Arnold entre 1972 et 1975 le génie catalan en fait son protégé, lui permettant entre autres choses de participer à la construction de son musée dans la ville de Figuieras située aux abords de Barcelone… Par ailleurs le long métrage sus-cité reçoit un accueil quasi-triomphal au Festival du Film de San Francisco, consacrant Arnold meilleur réalisateur de l’année... Si le projet tué dans l’oeuf de Monkey éloigne peu à peu le réalisateur des portes ouvertes d’une perception filmique proprement atypique et pratiquement révolutionnaire l’artiste poursuit ses multiples travaux sur l’image fixe et les esquisses effectuées d’un seul jet, jusqu’aux terribles années SIDA de l’ère reaganienne et son conformisme carabiné…

Steven Arnold meurt en 1994 des suites du virus sexuellement transmissible, de la même façon qu’un certain Derek Jarman. Il laisse derrière lui une poignée de films constituant une filmographie d’à peine deux heures d’images serties de points chauds et lumineux, atavisme des lectures ésotériques et spirituelles du cinéaste passionnément évoquées par Vishnu Dass dans son documentaire inédit Steven Arnold : Heavenly Bodies, projeté le 11 septembre de cette année lors de l’Étrange Festival ; trois courts métrages ainsi qu’un long en fin de compte, programme exclusivement visible ce jeudi 15 septembre au Forum des Images à Paris et preuve que si Andy Warhol (accessoirement grand admirateur de Steven Arnold, ndlr) fut de son vivant l’exécuteur commercial de son Art le réalisateur de Luminous Procuress fut quant à lui le créateur vital et artistique de sa propre existence. Magnifique.

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