Cet article accompagne la sortie en DVD de Enquête sur un scandale d’État de Thierry de Peretti, petite bombe pour les cinéphiles français qui découvrent alors – et au même titre qu’un certain Arthur Harari l’année dernière – la naissance d’un grand cinéaste s’éloignant pour la première fois de sa Corse natale pour s’attaquer aux dérives de notre système hexagonal. Il est alors bon de constater que cette édition vidéo regorge de contenus pour ceux qui souhaiteraient s’imprégner encore plus de la création de ce grand film. En dehors des commentaires audio du réalisateur et de la chef opératrice du Portrait de la jeune fille en feu, Claire Mathon, vous pourrez ainsi trouver un entretien avec le journaliste Emmanuel Fansten joué par Pio Marmaï expliquant son ressenti par rapport à l’affaire et au film, ainsi que les scènes majeures comme celles du procès ou du restaurant dans leur intégralité à chaque fois introduites par Thierry de Peretti, extrêmement précis sur ses volontés de metteur en scène.
Enquête sur un scandale d’État est un véritable dédale cinématographique dans lequel le spectateur se perd sans jamais pouvoir garder de certitudes sur la véracité des propos du personnage central à l’intrigue : Hubert, grande gueule impulsive, ayant participé contre son gré à des activités illégales à cause d’un supérieur corrompu qu’il pensait être son ami, le renommé pour le film Jacques Billard. Il revient alors au journaliste et aux spectateurs de faire la part des choses dans ce que va passionnément déblatérer Hubert tout au long du film. On pense tout de suite à la relation entre Al Pacino et Russell Crow dans le Insider de Michael Mann qui semble être l’œuvre-genèse du film de Thierry de Peretti. La différence est qu’ici, on ne s’attaque pas aux multinationales mais directement à l’État par l’entremise de ses vassaux représentés par un Vincent Lindon en grande forme. L’incompétence ou la duplicité de gouvernements ayant délibérément laissé passer des milliers de kilos de drogues en France sous couvert d’un dispositif de surveillance rapidement dévoyé par un trafiquant revendiqué indic.
Anti-spectaculaire au possible, le film impressionne par une mise en scène travaillée autour de la figure du plan-séquence qui reviendra lors des moments-clés de sa narration. Comme l’explique très bien Thierry de Peretti, acteur avant d’être réalisateur, cela a l’avantage de lui éviter les champs-contrechamps qui fatiguent toute l’équipe sur un tournage et de garder le naturel des acteurs qui peuvent ainsi expérimenter et s’amuser. On se retrouve donc avec une scène de procès de 45 minutes (bien évidemment réduite pour le montage en salle) suivant à la lettre le compte rendu du véritable procès. Cette caméra flottante, presque toujours en mouvement, donne une ampleur toute particulière à ces scènes qui gagnent en tension à chaque nouvelle minute de continuité. Mais tout ceci ne serait rien sans l’ensemble du casting qui arrive à jouer de manière complètement naturaliste tout en étant juste. Sur ce point, Roschdy Zem est impressionnant lorsqu’il interprète Hubert et son franc-parler. Si l’on ne s’attarde pas particulièrement sur son jeu, on pourrait croire qu’il joue mal alors qu’il maîtrise toutes ses intonations avec une précision exemplaire.
Là où Thierry de Peretti aurait pu traiter l’affaire “à l’américaine” en accentuant les risques encourus par les personnages, le réalisateur français se contente de distiller une ambiance de paranoïa assez subtile en faisant par exemple durer trop longtemps certaines scènes de déplacement en scooter ou en gardant le danger en hors-champ constant. De la même manière, ce qui l’intéresse n’est pas spécialement le scandale en soi dont on a bien du mal à comprendre les tenants et aboutissants mais bien le travail d’enquête. Libération en devient presque le personnage principal, sorte de refuge pour nos journalistes en quête d’une vérité qui n’intéresse finalement pas grand monde. Le constat de fin d’une soudaine et glaçante violence est le suivant : ce scandale pour lequel Hubert aura donné ses derniers instants n’aura fait qu’à peine grincer les arcanes d’un système trop bien établi pour pouvoir changer. Le combat peut donc continuer et peut-être qu’un jour, une autre vérité verra le jour.
Tout amateur de thriller paranoïaque, de film politique et de film policier devrait rattraper ce film qui a le mérite d’amener quelque chose de neuf (et de français) à chacun de ces genres. Malgré la complexité de l’affaire, Thierry de Peretti parvient à maintenir un rythme fort sans jamais arriver à lasser son spectateur, perdu dans les brumes d’une affaire qu’il trouve intrigante, presque malgré lui.
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