Tout le monde aime Jeanne : Savoir s’aimer

S’étant construit une jolie réputation dans le milieu de l’animation où tous ses courts métrages ont été primés en festival (avec en prime un César à la clé en 2016 pour Le repas dominical), Céline Devaux passe cette année au long métrage avec Tout le monde aime Jeanne, présenté à Cannes pendant la Semaine de la Critique. Le film nous raconte l’histoire de Jeanne qui, à la suite d’un désastre professionnel concernant un projet écologique qu’elle menait avec vigueur, se retrouve endettée et en pleine dépression. Elle se rend alors à Lisbonne pour mettre en vente l’appartement que possédait sa mère décédée il y a un an et croise la route de Jean, ancien camarade de lycée fantasque et quelque peu envahissant.

À première vue, Céline Devaux suit donc un chemin tout tracé, celui d’un film sur le deuil et la dépression où l’on affronte les aléas de ce monde dans un ton à la fois doux et amer, où le rire léger côtoie quelques larmes. Mais, loin d’abandonner son premier amour qu’est l’animation, la cinéaste va pimenter l’ensemble de son récit de passages animés avec un petit fantôme aux longs cheveux représentant les voix intérieures de son héroïne. Il en résulte une véritable singularité, ces moments et ces voix créant de véritables ruptures de ton tout en permettant de se plonger au plus près des pensées de Jeanne, pensées évidemment traversées d’un tas d’émotions contradictoires et incontrôlables. On en vient à se demander si Céline Devaux n’a pas vu l’épisode 6 de la saison 4 de l’excellente série BoJack Horseman intitulé Stupid piece of sh*t où tout l’épisode était traversé par les pensées intérieures de BoJack en pleine dépression. L’idée en soi n’est donc pas nouvelle mais elle est joliment amenée, apportant une réelle personnalité au film, loin d’être un simple gimmick puisque cela représente parfaitement les sentiments de Jeanne (Blanche Gardin, forcément parfaite dans ce rôle) qui, au demeurant, n’exprime pas grand-chose oralement.

En cela, elle est le parfait contraire de Jean qui, joliment interprété par un Laurent Lafitte lunaire, assume totalement le fait qu’il ait fait une dépression et qu’il ait séjourné en hôpital psychiatrique. L’attitude de Jean, à la fois maladroite socialement et en même temps complètement honnête vient mettre des mots sur les sentiments de Jeanne, mots qui viennent briser le moindre tabou entourant la dépression : oui, il faut en parler, c’est important. Esquissant évidemment une histoire d’amour, le film se montre émouvant et tout en douceur, sans aucun pathos, capable de se montrer aussi drôle que touchant. Le portrait que Céline Devaux fait de Jeanne est mélancolique et plein de justesse et de subtilité, sachant capter les doutes et les contradictions de son personnages sans jamais trop en faire, bien aidé par la musique composée par Flavien Berger.

Tout le monde aime Jeanne se révèle donc être un premier long métrage inspiré et singulier, petite bulle de cinéma dans laquelle on peut se reconnaître et qui saura parler à tous, de quoi augurer une jolie suite de carrière pour Céline Devaux et d’espérer voir Blanche Gardin sur l’écran à de nombreuses reprises encore tant son talent s’avère franchement indispensable en ces temps troublés.

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