Rodeo : Ride or die

Présenté cette année à Cannes dans la sélection Un certain regard où il a remporté le coup de cœur du jury, Rodeo débarque en salles auréolé d’une polémique qu’il nous faut évacuer d’emblée. Oui la réalisatrice Lola Quivoron dont c’est ici le premier long métrage a eu quelques propos maladroits autour des rodéos urbains à l’heure où cette pratique entache la section des faits divers en faisant des victimes mais en aucun cas le film (qu’il convient donc d’avoir vu avant de le critiquer) n’en fait l’apologie. Si la cinéaste est bien sûr fascinée par ce milieu qu’elle dépeint sans fards, elle n’a pas ici un propos politique, le film ne mettant finalement en scène aucun rodéo urbain à proprement parler.

Rodeo est au contraire un film tout entier dédié à son personnage principal, Julia, jeune femme qui ne vit que pour la moto. Dévouée à sa passion, vivant de petites combines, Julia fait un jour la connaissance d’une bande de motards adeptes du cross-bitume et se retrouve prise dans ce milieu, luttant auprès de certains hommes pour s’imposer. Toute la mise en scène de Lola Quivoron tourne autour de Julia et de son énergie. Le personnage s’apparente d’ailleurs elle-même à une moto : elle gronde, elle part dans les tours, elle est imprévisible et avance avec rage sans faire marche arrière. Julia n’a pas prévu de se construire un futur, elle ne demande qu’à brûler sa vie sur le bitume, à y vrombir sans penser au lendemain. En cela elle rejoint les grands personnages adolescents tragiques popularisés par James Dean dans La fureur de vivre : grandioses, incompris et voués à se brûler les ailes tant ils sont à fleur de peau, prêts à imploser. Pour Julia, il s’agit d’être sur une moto ou de ne pas être, un point c’est tout.

Si Lola Quivoron pose un regard naturaliste sur ce mode de vie clandestin (on vit dans un garage, on perd ses amis dans un bête accident, on multiplie les combines pour s’en sortir), sa mise en scène est loin de l’être. Alors que l’on craignait dans les débuts du film une certaine pose auteuriste presque obligatoire dans les films de cet acabit (caméra à l’épaule nerveuse, grain à l’image, propos social), la mise en scène s’en éloigne peu à peu, allant même flirter avec le fantastique, Rodeo étant traversé par quelques visions étonnantes, imprimant la rétine de la même façon que les motos impriment les traces de leurs roues sur le bitume. C’est d’autant plus frappant que la réalisatrice ne lâche quasiment jamais Julia, incarnée avec une puissante incandescence par Julie Ledru, l’actrice affichant une cinégénie déconcertante et une beauté singulière. Jeune mais le visage semblant déjà usé par la vie, Julie Ledru imprime sa personnalité dans le rôle et livre une prestation forte, n’ayant pas peur d’assumer un personnage qui ne se dévoile jamais clairement et qui se montre parfois antipathique.

Ce n’est donc pas tant par les rodéos urbains que Lola Quivoron est fascinée que par son personnage, un personnage radical et vibrant filmé avec passion, point d’ancrage du récit dans un milieu que la réalisatrice ne nous demande jamais d’aimer : il est filmé comme il existe, dans sa violence, dans sa misère, dans ses moments de tendresse. Le film ne nous impose pas un avis, il dresse le portrait d’une jeune femme animée par sa passion, un portrait pétri de contradictions auquel il faudrait bien être insensible pour ne pas finir par s’y attacher surtout que le récit applique sa démarche jusqu’au bout dans un final qui nous hantera encore longtemps. Une réussite en somme, n’en déplaise à ceux prêts à lui tirer dessus à boulets rouges.

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