Flee : Entre exil et renaissance, une épopée bouleversante

Mercredi 31 août sort en France Flee, le premier long métrage de Jonas Poher Rasmussen, historiquement nommé trois fois aux Oscars 2022 dans les catégories meilleur film d’animation, meilleur long métrage international et meilleur documentaire. L’histoire racontée est celle d’Amin, réfugié afghan homosexuel au Danemark. C’est lui-même, en version animée, qui la raconte au réalisateur, dans une atmosphère amicale propice à l’entretien et aux confidences intimes.

En ce qui concerne la direction artistique, les choix visuels et musicaux sont assez limpides et cohérents, appréciables sans être d’une extrême inventivité. La réminiscence des événements tragiques est régulièrement mise en image par le recours à des silhouettes, voire des ombres, sur des fonds monochromes blanc, gris ou noir. Une sorte de crayonné au mouvement très rapide évoque le surgissement des traumas, souvent associé à des images d’archives illustrant les péripéties politiques et militaires qui écrasent les individus. Pour montrer les moments entre proches, la couleur sera davantage présente, ces instants constituant des oasis au milieu des épreuves que doit surmonter la famille d’Amin. L’ambiance musicale repose, elle, sur un contraste entre une tonalité ténébreuse accompagnant les horreurs subies au cours de l’exil et des hits occidentaux célébrant la liberté festive des tolérantes démocraties vues comme un Eldorado : on a le bonheur d’entendre Take on me de A-Ha (dont le clip est en partie dessiné), Wheel of fortune de Ace of Base, Joyride de Roxette ou Veridis quo des Daft Punk à des moment-clés de la diégèse.

L’antithèse est aussi patente entre la chaleur de l’intimité familiale et la froideur mécanique des profiteurs de malheurs. Les rares instants de bonheur sont ceux de l’enfance, marquée pourtant par la disparition du père (certainement victime d’une purge étatique), grâce à la douceur de la mère et aux histoires, à l’allure de contes, de la soeur au sujet du paternel aviateur. Quelques scènes (passion des cerfs-volants, affection pour les pigeons…) esquissent les portraits des différents membres, peu caractérisés, mais dont l’empathie et l’altruisme émeuvent le spectateur. Elles sont de brèves respirations, car l’essentiel de la narration est une dénonciation de l’inhumanité des protagonistes rencontrés au cours des périples imposés par les guerres et les répressions : les policiers sont des hommes puant la vodka, corrompus, sadiques et violeurs; les passeurs sont des trafiquants sans une once d’humanité. Pour illustrer ces situations inextricables dans toute leur cruauté, les images d’archives rappellent les problématiques militaires et politiques, leur médiatisation (on a droit à Jean-Pierre Pernaut), leurs conséquences désastreuses (victimes, destructions, pénurie, délinquance…) dans une tonalité post-apocalyptique. Les dessins dévoilent les répercussions fatales aux unités familiales (enrôlements, départs forcés…) accompagnées par un chant élégiaque et vues du ciel en plongée (on verra souvent Amin, enfant comme adulte, écrasé sur son lit de cette manière). La mise en scène n’est pas d’une grande subtilité, mais elle est efficace et met en valeur une histoire poignante.

Pour survivre à cela, pour ne pas sombrer, il y a… les soap opéras mexicains ! Sans aucune ironie, ils sont le baume qui ranime les moments de partage familiaux comme si rien ne s’était passé, ils constituent des parenthèses de joie qui permettent l’évasion à ceux qui sont enfermés. En effet, s’exiler implique aussi la claustration et on retiendra longtemps des scènes cauchemardesques de fuite nocturne dans la forêt enneigée, puis à l’intérieur de containers clandestins, nous faisant partager la terreur des personnages grâce au travail sonore, au point de vue interne, à des visions de noyades… La suite n’est guère plus reluisante avec ces passagers de paquebot reluquant du haut de leur félicité le zoo humain des déshérités, ou cette police estonienne au visage dissous dans Le Cri de Munch.

Ces événements sont narrés à son ami par Amin, vu de dessus, couché sur un tissu oriental, comme si un nimbe l’entourait. L’intimité est sincère et Amin, qui semble aussi s’adresser à nous, est à même d’évoquer son homosexualité (le mot n’existant pas en Afghanistan) avec humour et pudeur : de ses premiers émois devant des posters de Chuck Norris et surtout de Jean-Claude Van Damme (qui lui fait même un clin d’œil télévisuel, brisant malicieusement le quatrième mur) à son coming out d’une grande tendresse fraternelle au son des Daft Punk (générant, enfin !, le retour d’un sourire), en passant par une première idylle platonique qu’est le partage d’écouteurs pendant un transit clandestin. C’est très authentique et très touchant. C’est aussi l’occasion de confidences au sujet des dilemmes du passé et des remords qui s’y rattachent (à l’image de la passivité face à la porte du fourgon se refermant sur une jeune fille avant un viol collectif) et des choix à effectuer pour trouver enfin sa place, son petit endroit édenique à soi.

Flee est un film qui prend aux tripes en montrant sans fard le parcours épouvantable auquel sont soumis les damnés de la terre. L’animation permet une immersion éprouvante en privilégiant des contrastes visuels et sonores. Ce n’est pas une révolution esthétique, mais un moment de cinéma intense et didactique.

1 Rétrolien / Ping

  1. Flee : rencontre avec Jonas Poher Rasmussen -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*