Les Derniers Soleils : Loin des canons scénaristiques habituels

Alors que l’ère est aux blockbusters et aux films toujours plus dantesques et dynamiques, c’est bien du côté des court métrages que le vivier des bonnes idées est le plus intéressant à explorer. Entre amateurisme, budget modeste ou restrictions de matériel, il faut savoir duper le spectateur avec autant d’imprévus pour nous barrer la route. Et souvent en cela, les court métrages offrent un amoncellement d’idées sur lesquelles les auteurs ont eu mûrement le loisir de réfléchir. A défaut d’argent, c’est en général le cœur ou l’esprit qui guident ces productions. Dans les deux cas, elles offrent un potentiel parfois inexploité et ne demandant souvent qu’à se faire connaître. Ingéniosités, curiosités, réflexions, idées concept… tant de points de départs pour un court métrage qui peut souvent apporter ce que les grosses productions ne vous apportent plus, à savoir du mystère.

Sans plus tarder nous vous parlons aujourd’hui des Derniers Soleils, réalisé par Arthur Mercier et qui raconte la vie de deux trentenaires paumés qui vont apprendre qu’il ne leur reste que 48h à vivre avant la fin du monde. Un concept simple au demeurant, qui pourrait nous rappeler le film Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare avec Steve Carell et Keira Knightley, et certainement de nombreux autres films… mais qui – lorsqu’il est bien exploité et suffisamment bien construit – peut laisser de belles surprises sur son passage. Et qu’est-ce qui pourrait nous convaincre de nous intéresser à deux guignols qui n’ont vraisemblablement pas l’étoffe de héros et encore moins de sauveur de l’humanité ? Justement, rien.

Et quelque part c’est ça qui est intéressant. Thor, Iron Man, Spiderman ou Batman sont cools et badass, mais ils ne sont que des élucubrations de notre volonté d’être quelqu’un d’unique. Pourtant nous le sommes déjà, et nous sommes également comme tout le monde. C’est agréable de rêver de temps en temps, mais quelquefois, la vie en simplicité à du bon. Max et Yann ne sont d’ailleurs même pas vraiment comme tout le monde puisqu’ils se rapprochent plus du stéréotype du loser. Tout l’intérêt du court métrage réside dans cette volonté de les ériger au statut de super-héros à leur échelle et seulement aux yeux d’eux-mêmes. Personne ne connaîtra leurs derniers instants, à part nous. Personne ne vivra leurs peurs et leurs doutes, à part nous. Cela peut donner un sentiment un tantinet voyeuriste, mais au fond, cela questionne : peut-on vraiment accepter notre fin de manière aussi positive et innocente qu’on semble vouloir nous le faire croire dans tant de films ? Personne ne nous apprend l’après, et ce n’est pas Arthur Mercier qui vous donnera une réponse. Mais il propose de voir les choses sous un angle moins tapageur et plus universel. Le jour où une catastrophe arrivera, ni Chris Pratt ni Robert Downey Jr n’y pourront quelque chose, et il nous faudra pourtant jouer avec ce genre d’inconnue. Et n’allez pas croire que cela n’arrivera pas de notre vivant, nos grands-parents eux-mêmes n’auraient jamais cru vivre une pandémie mondiale comme celle de la COVID-19.

A ce niveau, la mise en scène reste assez simple, parfois académique. Mais son efficacité témoigne aussi d’une bonne lecture de son format. Filmé en 4/3, le cadre est constamment resserré sur les personnages. Cela n’empêche évidemment pas d’avoir de très jolis plans tout en dynamisant parfaitement l’action. D’une durée d’environ 40 minutes, on ne trouvera pas le temps long pour autant. L’ambiance intimiste rend la narration plus alléchante et agréable à suivre. On s’attache très rapidement aux personnages dans lesquels on finit par se reconnaître. Est-ce grâce à l’écriture des caractères ou au charisme naturel des acteurs ? Difficile à dire, leur amitié se ressent par delà l’écran et c’est précisément ce qui fait fonctionner l’histoire.

En prenant le contrepied d’une mode de près de vingt ans au cinéma, Les Derniers Soleils pousse à la réflexion. Évidemment il ne s’agit pas de théoriser outre mesure ce genre de cataclysmes ni de les rendre anodins. C’est l’avis du réalisateur et scénariste, partagé avec quiconque souhaiterait un paysage audiovisuel aux choix plus pertinents ou moins standardisés. Libre à chacun d’y voir midi à sa porte, le point de vue proposé est intéressant, les protagonistes acceptant leur fatalité presque aussi simplement qu’ils acceptaient leur situation sociale quotidienne. Par ailleurs Les Derniers Soleils n’est pas exempt d’humour. Un humour maîtrisé, jaugé et subtil, loin d’être référencé. Des situations jusqu’à certaines remarques, le second degré de cette production est assez présent et non invasif. On n’est pas là pour rigoler, mais il faut bien quelques pointes d’humour par moments. Cela rend également la narration plus fluide. Bien que réaliste, l’histoire n’en est pas moins fournie en intrigue. Même si l’histoire donne le sentiment qu’il ne se passe rien, en réalité il se passe plein de choses, pas forcément toutes évidentes à analyser : à l’image de notre vie quotidienne en somme... Chacune de nos journées est ponctuée d’un nombre incalculable de péripéties n’en ayant pas forcément changé leur cours. Il s’agit quelque part de montrer qu’un évènement d’envergure peut ne rien changer de fondamental au reste de notre quotidien qui est jonché de multiples rebondissements aussi imperceptibles qu’illusoires.

En fin de compte le dernier gros point fort de ce court métrage, et son principal défaut, est son écriture. Celle-ci laisse entrevoir un fort potentiel sur l’étendue de l’univers qui se dresse derrière les protagonistes. On n’en sait que très peu, mais cela va au-delà du simple monde dans lequel on vit. C’est là où le court métrage se détache drastiquement des standards actuels, même si le mystère peut paraître limité, il invite le spectateur à poursuivre de lui-même l’environnement dans lequel auraient pu vivre les personnages. Tout ne nous est pas dit dans le moindre détail, et c’est à ça que sert un film. Il n’est pas là uniquement pour faire travailler nos yeux, mais aussi un peu notre cerveau.

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