Walkabout : Errance mystique et fascinante

Potemkine Films poursuit son travail autour du cinéaste Nicolas Roeg cette année puisque après Ne vous retournez pas, c’est au tour de Walkabout d’être édité en blu-ray et DVD. Disponible depuis le 19 avril dernier, penchons-nous un peu sur le film, première réalisation en solo de Nicolas Roeg datant de 1971. En effet, quand Roeg se décide à partir en Australie adapter un roman de James Vance Marshall (qui n’est autre que le pseudonyme de Donald G. Payne), il a seulement réalisé Performance avec le peintre Donald Cammell et doit surtout sa réputation à sa versatilité technique dans le cinéma britannique, l’homme étant tour à tour monteur, caméraman et surtout directeur de la photographie. Walkabout marque donc un cap dans sa carrière, et quel cap ! Le cinéaste se montrant parfaitement à l’aise, dessinant les prémices d’une filmographie passionnante.

Walkabout part d’un postulat simple : abandonnés dans le bush australien par leur père qui s’est suicidé, une adolescente et son jeune frère tentent de survivre tant bien que mal. Ils finissent par croiser la route d’un jeune aborigène en plein walkabout, errance initiatique rituelle éloignant les jeunes de la tribu durant plusieurs mois une fois qu’ils ont atteint un certain âge. Les trois compagnons d’infortune vont ainsi s’entraider en dépit de leur barrière de langage mais cette complicité qui se crée sur le moment ne peut qu’être éphémère, les jeunes occidentaux souhaitant rentrer chez eux…

Il y a bien des choses à dire sur ce film dont on peut décortiquer chaque séquence pour en tirer un postulat intéressant. Il y a en effet derrière la simplicité narrative du scénario un vrai travail de fond effectué par Roeg et son scénariste Edward Bond et surtout un pur travail formel où mise en scène et montage s’allient de façon étonnante (une marque de fabrique chez le cinéaste) afin de proposer une expérience de cinéma inédite. Notons déjà l’importance de Walkabout dans l’histoire du cinéma australien puisqu’il s’agit du premier film à accorder une place aussi importante à un personnage aborigène, figure jusqu’ici cantonnée aux éternels clichés racistes et souvent incarnés par des acteurs blancs au visage peint. Ici le personnage est central et incarné par le jeune David Gulpilil (qui deviendra une éminente figure de proue du cinéma aborigène et ce jusqu’à sa mort en 2021) et le titre même du film fait référence à une pratique aborigène. Le film n’est pourtant pas pro-aborigène pour autant et Nicolas Roeg se garde bien d’émettre le moindre point de vue manichéen sur ses personnages. En effet, les colons blancs sont certes montrés comme des êtres sans cœur, violents et concupiscents mais les aborigènes y sont dépeints comme incapables de s’adapter aux changements survenant dans leur pays, causant ainsi leur perte.

Avec Walkabout, Nicolas Roeg ne fait qu’insister sur l’idée d’un monde cruel et d’une éternelle incommunicabilité entre les êtres, soit parce qu’ils ne le veulent pas, soit parce qu’ils ne le peuvent pas, que le fossé entre eux est de toute façon trop grand pour être franchi. Il condamne ainsi l’esquisse d’une relation entre la jeune adolescente (Jenny Agutter, superbe) et l’aborigène (un tabou également pour l’époque, celui d’oser suggérer, par l’érotisme des corps nus, une quelconque relation interraciale) à n’être rien d’autre qu’une esquisse puisque même réunis dans un parcours similaire, les deux se retrouvent incapables de se comprendre et donc de pousser plus loin leur relation. Cette même idée de parcours initiatique est ainsi loin d’être idyllique. Le cinéaste montre certes l’existence d’un bout de Paradis perdu (avec la scène centrale où les trois personnages se baignent nus dans une sorte d’Éden encore sauvage auquel l’homme n’a pas touché), un Paradis auquel se raccrocher une fois que l’on grandit mais le récit est avant tout celui d’une perte d’innocence, proche des contes, Walkabout ne cessant de montrer l’hostilité du bush australien, filmant à de nombreuses reprises les animaux qui le peuplent. Animaux qui se dévorent, qui se font chasser, tout le film renvoie sans cesse à une certaine notion de sauvagerie, insistant bien sur la cruauté d’un tel territoire, territoire qui ne fait que renvoyer à la cruauté généralisée du monde même quand celle-ci se cache derrière des murs et du béton.

Volontairement cryptique, Walkabout pose plus de questions que de réponses. Pourquoi le père veut-il tuer ses enfants au début avant de se suicider ? Que signifient ces phrases en français entendues et lues au début et à la fin du film ( »faites vos jeux, messieurs, dames, s’il vous plaît » en ouverture et un carton indiquant  »Rien ne va plus » à la fin du générique) ? Nicolas Roeg se garde bien d’y répondre, ouvrant ainsi plusieurs pistes de réflexions sur son film, dont les mystères ont finalement quelque chose de naturel, correspondant parfaitement à la nature mystique du walkabout du titre. Walkabout s’avère ainsi à la fois sublime et macabre (la musique de John Barry, utilisant le didgeridoo ajoute une atmosphère funeste), réflexion cruelle sur la violence d’un monde qui ne va pas en s’arrangeant. Son ambiance reste unique dans l’histoire du cinéma, rendant le périple peu accessible pour tout le monde mais néanmoins diablement passionnant pour qui veut bien s’y laisser emporter, marquant notamment la naissance d’un grand cinéaste à redécouvrir.

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  1. My name is Gulpilil : Australia Elegy -

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