Un Eté comme ça : Une séance de chaleureuses étreintes

Trois femmes, à la sexualité peu conventionnelle et un peu trop obsédante, se retrouvent en maison de repos pour trouver paix et acceptation de soi. Elles s’y livrent sans fard afin de mieux se comprendre et se débarrasser des chaînes qui entravent leur jouissance de vivre. Le nouveau film de Denis Côté est d’une grande justesse, loin des canons officiels de l’action frénétique et sans âme.

Ce sont donc 26 jours que nous allons passer aux côtés des protagonistes, comme si nous étions nous aussi conviés dans le cadre idyllique d’une thérapie commune. C’est ce genre d’expérience filmique dans laquelle le spectateur n’est pas happé par une succession ininterrompue d’événements dramatisés, tendu par un suspens mettant ses nerfs à l’agonie et avide d’une résolution cathartique… Non, c’est une succession de petits moments, de ces fameux instants suspendus qui participent d’une atmosphère bienveillante, sans trame prédéfinie, sans eschatologie imposée. Comme les héroïnes dans leur bateau, on s’abandonne avec une certaine plénitude au tangage des images.

En effet, à aucun moment on ne sent une volonté surplombante du réalisateur : il n’est pas un entomologiste, ces femmes ne sont pas des insectes qu’on dissecte. Le jugement n’a pas sa place ici, l’écoute et la confiance s’installent en dépit des névroses, malgré un déficit d’estime de soi, et les confidences intimes sont criantes de sincérité, créant une empathie qui ne se démentira à aucun moment. Criantes, mais pas hurlantes: jamais Denis Côté ne cède à la facilité de ces fameuses scènes d’hystérie si attendues et souvent si factices, dont l’utilité se résume à retenir l’attention défaillante d’un spectateur avide de clashs. Pour autant, cela ne signifie pas que tout va aller mieux : on avance, mais rien n’est joué ; de nouvelles voies apparaissent en filigrane, des confessions débouchent sur des danses épiphaniques, mais aucune certitude ne s’impose.

Il s’agit de mettre en scène le regard et la parole féminines, de laisser libre cours à leur expression, de ne pas les noyer sous une stylisation étouffante. Leur corps est aussi un langage : à contre-courant de leur utilisation main stream sous l’emprise du male gaze, il s’exhibe avec un naturel attendrissant, une sorte de retour à l’innocence primitive pour ces Messalines au cœur de vierge. Elles ne sont pas désignées comme victimes de leurs addictions, mais comme assoiffées de découvertes et d’épanouissement. Il faut souligner l’extraordinaire prestation du casting: Larissa Corriveau dans le rôle de Léonie, Aude Mathieu dans celui de Geisha (que l’on retrouve dans des séquences marquantes comme une partie de football où le but se métamorphose avec un jeu de dupes entre chasseur et proie ou une vision emblématique d’un patriarcat invisible mais si pesant, posant sa main sur la tête de la femme-chienne), Laure Giappiconi en Eugénie (dont on retiendra une formidable séquence burlesque avec un camionneur déboussolé par une tirade très explicite).

Le cadre de la cure thérapeuthique oscille entre deux ambiances. Il y a la nécessité d’une certaine surveillance de ce harem débridé: Octavia (Anne Ratte Polle) incarne une sorte d’autorité assez défaillante (ses soucis de couple avec sa compagne minent sa confiance et sa dépression rampante la rapproche de celles qu’elle doit aider à « guérir ») ; l’intendante est une sorte d’antithèse qui enjoint à ne plus se voir par les yeux des hommes ; Sami (Samir Guesmi) est un eunuque compatissant mais rigoureux dans sa détermination castrée et seuls des plaisirs solitaires sont aptes à combler les besoins des belles enfermées pour qui le sperme est une échappatoire aux pensées morbides. Une atmosphère féérique et onirique imprègne également les lieux pour souligner les affres d’un passé traumatique ou la joie d’une sororité entre Amazones libérées de la toxicité virile lors de cette parenthèse estivale: araignées obsédantes et symbioses centauresques se répondent dans l’azur d’une aurore.

Un Eté comme ça est un moment de partage avec des actrices fabuleuses qui, comme beaucoup d’entre nous, se débattent dans les convulsions d’une existence mise à mal par des exigences contradictoires. Si on accepte de passer ces vacances en leur compagnie, on peut en revenir avec un peu plus de joie et une certaine espérance en notre humanité.

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