Dario Argento : Onirisme cauchemardesque et couteaux ensanglantés

Du 6 au 31 juillet a lieu une rétrospective Dario Argento à la Cinémathèque. C’est l’occasion de (re)découvrir sur grand écran l’oeuvre de cet esthète accompli.

Dario Argento a d’abord été critique et scénariste. On lui doit notamment le scénario d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. Auréolé de succès pour ses écrits, il va franchir le pas de la réalisation et est célébré dès son premier métrage. La virtuosité des mouvements de caméras (souvent aériens), les choix sonores et musicaux totalement en adéquation avec les ambiances et les psychés souvent dérangées des protagonistes (collaborations entre autres avec Ennio Morricone et Goblin) et une splendeur visuelle d’inspiration baroque sont ses marques de fabrique adulées internationalement.

Le giallo, dont il est reconnu comme un des maîtres, a les caractéristiques suivantes (on simplifie évidemment) : meurtres ritualisés, souvent de jeunes femmes aux formes généreuses, avec vue subjective du mystérieux assassin (qui peut être une femme ou un homme, avec fréquemment des soucis psychologiques très prononcés) dont on ne voit que les mains, la plupart du temps gantées (Dario Argento utilisant souvent les siennes propres), manipulant essentiellement des armes blanches de toutes sortes ou des éléments du décor, avec quelques gros plans bien juteux ; le personnage principal est généralement une sorte de détective amateur, victime d’un harcèlement ou simplement des circonstances, tandis que les forces officielles sont inefficaces. Le giallo s’apparente à un whodunit gore à la résolution implacable, avec une ambition formelle dans la mise en scène des meurtres dans le cadre d’une ambiance mortifère et déstabilisante.

Passons en revue quelques-uns des films présentés à la rétrospective et encore à l’affiche ces prochains jours :

L’Oiseau au plumage de cristal (1970)

Sam Dalmas est témoin d’une agression. Coincé entre les portes vitrées d’une galerie d’art, il est impuissant à aider la victime. Mais sa vision de l’événement n’est peut-être pas si irréfutable…

Le premier film de Dario Argento est une vraie réussite qui a engendré toute une portée de rejetons giallesques (même s’il y a eu bien sûr Mario Bava avant lui, avec La Fille qui en savait trop et Six Femmes pour l’assassin). La première séquence est magistrale, comme souvent chez le réalisateur : par un habile jeu de couleurs et de découpage, nous épousons la vision de Sam et partageons sa frustration…et pourtant un détail semble nous avoir échappé, à lui derrière son écran de verre comme à nous derrière le nôtre. S’ensuit un doute permanent, mais exaltant, au sujet des images qui nous sont imposées: vision baisée, erronée, fantasmatique ? Mais l’enquête doit se poursuivre, dans une ambiance hitchcockienne de tension permanente, mise en valeur par la partition d’Ennio Morricone.

Quatre Mouches de velours gris (1971)
Le batteur Roberto Tobias (Michael Brandon), poursuivant un homme qui semblait le prendre en filature, le tue dans un opéra désert, à l’exception d’un mystérieux individu au masque poupon (tel celui de Happy Birthdead) qui photographie le malencontreux événement.

Le dernier opus de la trilogie animalière reprend les éléments typiques de l’intrigue giallesque: enquêteur principal amateur, tueur mystérieux particulièrement atteint psychologiquement, violence renforcée à coups de gros plans, petite dose de sexe…

On retient la vision d’un coeur palpitant dès le générique qui, associé à un rève récurrent de décapitation éblouissant de blancheur et étourdissant de sons stridents, évoque le profond désarroi d’un héros paniqué. Le jeu avec les perceptions temporelles est également assez jouissif, comme lors de l’assassinat d’une femme qui se croyait à l’abri de toute surprise dans un parc lumieux grouillant d’enfants avant que ceux-ci ne disparaissent comme par magie et que les ténèbres s’abattent comme une plaie d’Egypte. A noter que certains personnages secondaires sont assez truculents: Bud Spencer en Diomède à perroquet ou Jean-Pierre Marielle en détective gay par exemple.

Les Frissons de l’angoisse (1975)
Marcus Daly est témoin du meurtre d’une médium. Il arrive trop tard, sans avoir vu l’assassin. Mais la vision de celui-ci est peut-être enfouie dans un interstice de son cerveau…

Plans furtifs, ellipses, faux raccords, narration aux détours s’apparentant à des culs-de-sac, tout est fait pour dérouter le spectateur autant que le protagoniste dans un univers urbain profondément anxiogène. David Hemmings, l’acteur de Blow up d’Antonioni, incarne un personnage qui ne décrypte pas les signes et se perd du fait d’une impuissance à voir le tableau des événements dans sa globalité (telle la fresque qu’il découvre et ne met à jour que partiellement). Les scènes de meurtres sont particulièrement cruelles et réussies dans ce giallo devenu un classique du genre.

Suspiria (1977)
La danseuse américaine Suzy Bannion se rend par une nuit orageuse à l’Académie de Danse de Fribourg en Allemagne. Dès la sortie de l’aéroport, une ambiance onirique et effrayante s’impose à la jeune femme qui ne tarde pas à apercevoir la première future victime aux portes de l’école.

Les premières minutes du métrage, souvent considéré comme le meilleur d’Argento et une étape dans sa filmographie avec l’introduction du fantastique, sont absolument extraordinaires et nous plongent dans un cauchemar éveillé magnifié par une ambiance sonore magistrale (la musique de Goblin vous restera en tête longtemps) et une maestria visuelle. Franchir les portes de l’aéroport, c’est entrer dans un univers de fantasy ensorcelée qui terrifie et fascine. La rationalité a été vaincue, l’inconscient et le baroque triomphent, et une esthétique ensanglantée règne pour notre plus grand plaisir. La première scène de double meurtre en est une illustration : peu importe certaines impossibilités narratives, le jeu sur la vision, les bruitages, le décor, les couleurs… tout nous ravit et nous plongeons sans réticence dans ce conte de fées en putréfaction.

Inferno (1980)
A New York, Rose découvre le livre Les Trois Mères, au sujet de trois sorcières vivant à Fribourg, Rome et New York. Intriguée, elle décide d’investiguer, sans se douter que certaines portes ne devraient jamais s’ouvrir…

Après le succès de Suspiria, la 20th Century Fox recrute Argento pour en tourner la séquelle, ce qui ne sera pas sans entraîner un clivage entre impératifs économiques et volonté du réalisateur de rester fidèle à ses préoccupations plastiques, quitte à dérouter. En effet, l’architecture du film est un époustouflant labyrinthe truffé de salles merveilleuses et dont on se moque de trouver l’issue, matérialisé par l’immeuble new-yorkais et ses passages secrets. A nouveau la dimension onirique étouffe toute velléité de cohérence narrative, bien plus radicalement que dans Suspiria. Si on accepte cela, on nage en plein bonheur dans les eaux macabres de l’esthète Dario, à l’image de Rose lors d’une séquence de plongée d’une beauté à couper le souffle. Chaque miroir, chaque porte, chaque escalier est le passage vers une nouvelle immersion esthétique (où dominent le bleu et le rose) sublimée par un travail sur le son à nouveau prodigieux.

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