
Il n’est pas aisé d’écrire une bonne biographie. Être biographe demande énormément de temps et surtout un véritable recul sur son sujet pour ne pas sombrer dans une forme d’hagiographie qui ne rendrait justice ni au biographe, ni à son sujet. Rompu à cet exercice délicat (il a déjà écrit les biographies de Sean Connery, Richard Harris et Anthony Hopkins), Michael Feeney Callan s’attaque cette fois à Robert Redford, l’un des acteurs américains les plus iconiques de son époque, artiste complexe engagé pour la cause environnementale et immense soutien du cinéma indépendant avec Sundance.

Suite à un travail de longue haleine de plus de quinze ans, regroupant à la fois des entretiens avec Redford et avec ses plus proches collaborateurs, Michael Feeney Callan a épluché en profondeur toute la carrière de Robert Redford pour en décortiquer le mythe. Redford représente en effet toute la quintessence de l’Amérique et demeure un artiste unique en son genre dont la carrière singulière suit une voie toute tracée obéissant à son désir d’indépendance (il faut voir comment il s’est battu pour Sundance en dépit de problèmes financiers), de liberté et de questionnements autant sur des thématiques écologiques (un sujet dont il parlait dès les années 70, se montrant précurseur en la matière), politiques que sur des sujets plus profonds comme l’accomplissement de soi et les blessures de la vie que l’on retrouve sur notre parcours. Loin d’être le beau gosse auquel on l’a souvent réduit, Redford témoigne, à la fois dans sa carrière d’acteur et plus tard celle de réalisateur, d’une volonté constante de ne pas se reposer sur ses acquis, de ne pas se répéter et d’explorer les valeurs de l’Amérique en remontant à celles issues du western (ce n’est pas pour rien que de sa carrière, Redford préfère Jeremiah Johnson tant le film de Sydney Pollack contient en son sein tout ce qui le définit.)
Pour raconter un parcours aussi riche en un peu plus de 700 pages (dont la version française est disponible aux Editions La Trace depuis le 22 mai dernier), il fallait bien tout le talent de Michael Fenney Callan. Avec la juste distance et surtout un sens narratif extraordinaire (c’est une biographie mais si on s’intéresse à la carrière de Redford, ça se lit comme un palpitant roman), Feeney Callan lève le voile sur une personnalité complexe et pétrie de contradictions. Redford y apparaît comme un homme entêté, perpétuellement en retard, parfois dispersé mais néanmoins passionné, tenace et résolu à mener sa carrière avec une véritable intégrité et cohérence artistique. De fait, malgré son statut de star, il n’a jamais cédé aux sirènes d’Hollywood, préférant toujours s’en éloigner et penser avec intelligence chaque étape de sa carrière, l’une des plus cohérentes de l’histoire du cinéma américain vu ce que Michael Feeney Callan nous en apprend.

C’est d’autant plus admirable que Redford, qui fut longtemps réticent à l’exercice de la biographie, n’hésite pas à se livrer entièrement. Ainsi, l’artiste parle volontiers de ses succès mais également de ses échecs, de ses périodes de dépression et de ses doutes. Une chose précieuse à l’heure où tout le monde célèbre les success-story sans pour autant forcément avoir envie de se pencher sur des moments plus sombres mais tout autant cruciaux, si ce n’est plus, que les périodes de succès. La biographie se lit donc à la fois comme le portrait complet d’un grand artiste (avec force de détails sur sa collaboration avec Sydney Pollack, plus houleuse qu’on ne le pensait) mais également comme le simple portrait d’un homme et de ses ambitions auquel on peut se rattacher aisément. De quoi émouvoir et transcender le simple exercice de la biographie, de la même façon que Robert Redford a transcendé sa carrière d’acteur pour en faire une véritable singularité. Vous l’aurez compris, pour quiconque admire un tant soit peu l’acteur et le cinéaste, c’est un livre à dévorer de toute urgence !
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