Irréductible : Voyage au centre de la fonction publique

Jérôme Commandeur, dont la popularité s’est nettement accrue grâce à son amusant sketch sur Facebook, a, depuis, bien évolué et sort enfin un long-métrage solitaire au cinéma. Avec sa trogne rigolote et son éternel sourire aux lèvres, le comédien a le don de toujours amener du beaume au cœur chez ses spectateurs, ce qui est parfois moins le cas de son talent humoristique. Depuis un peu plus de 10 ans, il écume les comédies françaises aux gags douteux sans forcément tirer son épingle du jeu. S’il a pourtant réussi à acquérir une certaine notoriété grâce à son écriture qui fait mouche, on finissait par se demander quand est-ce qu’il exploserait véritablement à l’écran ?

Ses dix années d’errance sous l’aile d’humoristes sur le déclin (Dany Boon, Olivier Barroux, Pierre-François Martin-Laval) entre autres réalisateurs pas toujours bien inspirés (désolé Éric Lavaine), ne lui ont pas permis d’éclater comme il était attendu. De plus, nous le verrons par la suite, l’influence calamiteuse du cinéma comique de seconde zone, toujours plus populaire et consternant, aurait pu lui faire lamentablement échouer son film au combien intéressant.

Quand on regarde la bande-annonce d’Irreductible, il nous vient la surprenante envie de coller des affiches dans toute la ville : « Sourire perdu, si vous le voyez, appelez-moi au… ». Pur produit sans saveur ni excitation de ce que le cinéma français à pu engendrer de plus risible. C’est d’ailleurs bien de la façon la plus simple que ce cinéma parvient à provoquer le rire, en invitant les spectateurs à se foutre de sa gueule. Une sorte de mise en abîme horrifique de l’humour où la décadence embrasse une société consommatrice de sa propre déchéance sociale. Mais nous nous égarons, il existe, par chance, d’irréductibles comédies bien senties dont Jérôme Commandeur ne suit pas les règles et parvient toutefois à en obtenir les résultats.

Ne tentons pas de résumer cette histoire magistralement chaotique mais disons simplement que, le film s’étant vendu comme une critique de la fonction publique, Jérôme est un ex-fonctionnaire dont le nouveau statut social le plonge dans une effroyable vie sociale. Mais il faut être honnête, le fond du film n’est pas vraiment là. On se moque des fonctionnaires assez allégrement et de façon très grossière, c’est un fait, mais en réalité, Irréductible est bien plus réfléchi et malin que ça. C’est une critique beaucoup plus large de la société actuelle, et même si certains discours tombent dans un pathos de mauvais goût, il y a surtout un état d’esprit assez louable qui rend l’histoire captivante.

Il faut bien admettre un côté pub Ushuaïa Nature très présent par instant, mais Jérôme Commandeur invite le spectateur à voyager énormément. Avec lui, on fait certainement le tour de la terre. C’est peut-être un détail pour vous, mais après cette longue crise COVID, pour certain ça veut dire beaucoup. Et il est évident que cet aspect du film soit l’un de ses plus bel avantage. Car on voyage à travers la planète certes, mais également au travers de statuts socioprofessionnels variés, un peu clichés tout de même. C’est là que réside la puissance narrative du film. L’intrigue est jusqu’au-boutiste. Sous prétexte de se servir d’un élément précis de l’histoire, le scénario se renouvelle perpétuellement grâce à un seul et unique élément, la mutation de Jérôme. Un second détail apporte une réelle plus-value au long-métrage, il s’agit du caractère du personnage principal. Ce qui reflète souvent un agacement général dans de nombreuses comédies actuelles est en fait l’opposition entre les personnages. Pour amener les situations cocasses et provoquer le rire, l’élément perturbateur réside dans les scènes de confrontation. Les personnages se plaignent d’une situation et vont tout faire pour s’opposer au bon déroulement de celle-ci. Ici, Jérôme jongle sans arrêt avec les éléments perturbateurs qui se dressent devant lui. Son personnage accueille chaque épreuve comme une aventure. Moralement c’est un énorme changement car le spectateur n’a jamais le loisir de voir l’intrigue se poser, elle est irrémédiablement relancée. Ainsi nous sommes continuellement dans une forme de curiosité nous permettant de mieux accepter le déroulé de l’histoire, mais en plus on n’est moins sujet à anticiper les évènements, ce qui aide à mieux savourer l’histoire.

Cela n’épargne pas le film de moments lourds, parfaitement à l’image de son réalisateur. Enfin à l’image de l’humour de son réalisateur bien évidemment. Et ce dès les premières secondes, alors que le film en est encore à la présentation des studios de production et de distribution. Un humour propre à Jérôme Commandeur qui n’est pas sans rappeler une petite inspiration de la fibre Les Nuls adaptée maladroitement à notre génération humoristique. Sur le papier, c’est plutôt drôle effectivement. Bizarrement la sauce ne prend pas et la lourdeur se fait immédiatement ressentir à la première demi-seconde. Échec d’entrée en matière qui continue de plonger avec sa scène d’introduction prévisible et déconcertante. C’est dommage de rater la première scène de son film à ce point car elle est assez déterminante dans la perception du spectateur pour la suite de la séance. Malgré quelques fausses notes inhérentes à tout un chacun (vous savez, les goûts et les couleurs), le film s’en sort étonnamment beaucoup mieux par la suite. Les personnages sont bien écrits mais surtout utilisés avec parcimonie. En l’occurrence, ils ne sortent jamais de leur rôle, parfois un peu trop encadrés, de conducteur d’intrigue. Par exemple, les personnages de Christian Clavier et Gérard Darmon ont un rôle précis qu’ils accomplissent soigneusement, permettant à l’histoire de Irréductible de se prolonger dans la bonne direction, tout en composant adroitement avec les perturbations de l’intrigue. C’est presque un labyrinthe scénaristique bien pensé qui se construit devant nous.

En résumé, il ne fait aucun doute que les éléments les plus douteux du film ont certainement été gangrenés par des années de productions indigestes du cinéma français et de ses studios racoleurs qui ne voient que trop rarement l’apport artistique qu’il y a derrière le nombre d’entrée au box office. Il est dommageable qu’un Jérôme Commandeur, à ses débuts aussi incisif que prosodique puisse, dix ans plus tard, avoir régressé à ce point sur certains de ses traits humoristiques. Non pas qu’il n’ait jamais été lourd dans son humour, c’est même en partie pour sa maîtrise de la lourdeur qu’il a réussi à se faire connaître. Mais avec le temps, il a finit surtout par sombrer dans la facilité. C’est même pour ça que nombreux sont les gens qui continuent d’aller voir les films parfois miteux dans lesquels il joue. Car sa bonhomie le rend attachant et son aura à toujours su attirer les spectateurs. Aujourd’hui son film Irréductible est une vraie surprise qui parvient à mêler l’humour hérité de nos plus talentueux humoristes de la génération précédente et cette nonchalance de l’humour actuel. Un mélange que rien ne semblait promettre à une proposition de cinéma aussi curieuse.

2 Rétroliens / Pings

  1. Menteur : Tel est pris qui croyait prendre -
  2. Maison de Retraite : Ils nous parlent d'un temps que les moins de 20 ans... -

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