L’homme au pousse-pousse (1943 et 1958) : Deux films joliment humanistes

Si nous ne cessons jamais de vanter dans nos colonnes la qualité du travail éditorial de Carlotta Films, c’est bien parce que cet éditeur s’est taillé une place de choix parmi les cinéphiles, un cercle qui semble se resserrer ces dernières années mais qui est de plus en plus exigeant sur la qualité du travail qu’on lui propose. Alternant régulièrement entre valeurs sûres et découvertes plus confidentielles, Carlotta poursuit son exploration du cinéma japonais (rappelez-vous, la fabuleuse rétrospective Kinuyo Tanaka un peu plus tôt en salles cette année) avec L’homme au pousse-pousse, disponible en vidéo depuis le 3 mai dernier, l’éditeur allant jusqu’à proposer les deux versions du film (datant respectivement de 1943 et 1958) sur le même disque, histoire de satisfaire les plus complétistes d’entre nous.

En effet, L’homme au pousse-pousse est de ces films dont le même cinéaste (ici Hiroshi Inagaki, réalisateur de la trilogie Musashi éditée dans un superbe coffret l’année dernière chez Carlotta – évidemment) a réalisé deux versions, à l’instar de Hitchcock avec L’homme qui en savait trop ou de Leo McCarey avec Elle et lui. L’histoire reste la même : conducteur de pousse-pousse au tempérament impétueux, aussi fort en gueule que profondément attachant, Matsugoro est apprécié des habitants de sa ville. Un jour il porte secours à Toshio, un petit garçon et fait la connaissance de sa famille. Lorsque le père de Toshio meurt, Matsugoro, déjà attaché à l’enfant, promet à sa mère Yoshiko de veiller sur lui. Craintif et réservé, Toshio va peu à peu s’épanouir au contact du conducteur bourru mais bienveillant, celui-ci n’étant d’ailleurs pas insensible aux charmes de Yoshiko malgré la différence de leur milieu social…

C’est donc un beau mélodrame que Hiroshi Inagaki réalise ici, attaché avant tout au portrait émouvant d’un homme comme on les aime, maladroit et bourru, bon vivant (il faut le voir se préparer à manger au théâtre), s’épanouissant au contact de Toshio et Yoshiko mais bien trop humble pour désirer plus, restant toujours à sa place. Inagaki filme les deux longs métrages avec la même tendresse et des motifs de mise en scène récurrents (la roue du pousse-pousse qui tourne pour figurer le passage du temps) mais son approche formelle diffère évidemment sur les deux films.

La version de 1943, en noir et blanc repose sur une mise en scène au montage plus dialectique et sur une performance plus théâtrale, celle de Tsumasaburo Bando, acteur de théâtre kabuki que l’on a vu davantage sur grand écran dans des chambaras. La version de 1958 bénéficie évidemment d’une liberté de ton plus grande, permettant de creuser l’amour qu’éprouve Matsugoro (cette fois incarné par le géant Toshiro Mifune) pour Yoshiko et, réalisée en couleurs et en cinémascope, a beaucoup plus d’ampleur romanesque, s’avérant être un pur mélodrame flamboyant d’ailleurs récompensé du Lion d’Or à la Mostra de Venise. Avec une pudeur et une délicatesse propres au cinéma japonais, L’homme au pousse-pousse est, dans ses deux versions, une jolie réussite, croquant le portrait fabuleux d’un homme profondément solitaire embrassant sans rechigner son destin. Deux films pétris du même humanisme, célébrant la beauté des liens humains se nouant au fil de la vie et qui séduisent par leur apparente simplicité derrière laquelle Inagaki tisse des scènes bouleversantes à l’image d’un flash-back déchirant sur la jeunesse de Matsugoro ou de la joie ressentie par Toshio quand Matsugoro gagne une course devant ses yeux émerveillés. Une jolie découverte pour laquelle on remercie une fois de plus l’incroyable travail fourni par Carlotta qui ne cesse de nous gâter.

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