Red Rocket : The Texas Pornstar Forfeiture

Il y a ceux qui ont la chance de vivre le Festival de Cannes en direct, et il y a ceux qui attendent patiemment que les films sortent en vidéo. Red Rocket concourrait en sélection officielle l’année dernière. Bien qu’il n’eut aucun prix sur la Croisette, le dernier film de Sean Baker s’est taillé un sacré palmarès par la suite, dont le Prix du Jury lors du Festival de Deauville. Le dernier rejeton du papa du sublime Florida Project est sorti dans nos salles en début d’année. En dépit d’une réputation solide chez les critiques, Red Rocket n’a séduit qu’à peine plus de 65 000 spectateurs par chez nous. Sa sortie en blu-ray devrait lui redonner une chance puisqu’il débarque avec les meilleures intentions du monde et est diablement soutenu par Le Pacte qui semble très fier de le distribuer.

Mikey Saber revient dans sa ville natale du Texas après des années de carrière de pornstar à Los Angeles. Il n’y est pas vraiment le bienvenu. Sans argent, sans emploi, il doit retourner vivre chez son ex-femme et sa belle-mère. Pour payer son loyer, il reprend ses petites combines, mais une rencontre va lui donner l’espoir d’un nouveau départ.

Difficile de considérer Red Rocket si l’on ne connaît pas un tant soit peu la carrière de son acteur vedette, Simon Rex. Autant les amateurs de nanars sauront reconnaître le trublion qui donnait tout ce qu’il avait dans des œuvres telles Scary Scream Movie ou encore Scary Movie 3, autant ce n’est pas cet aspect de sa carrière qui nous intéresse. Simon Rex a débuté sa carrière en tant que pornstar gay. Réputé dans le milieu pour son très imposant attribut, mais surtout ses envies de cinéma traditionnel, Rex fait parti de ces acteurs qui sont parvenus à effacer progressivement leur passé au sein de l’industrie pour adultes. En 2008, il co-produit et joue un des rôles vedettes du film de Geo Santini, Hotel California. Polar musclé qui entend marcher sur les plates-bandes de Training Day, le film ne rencontre pas son public et demeure encore inédit par chez nous. Le plantage du film sonne la désillusion pour Simon Rex. En dépit d’une brève apparition dans l’excellent Bodied, il ne devait se contenter que de rôles mineurs bien loin de ses talents. Quand Sean Baker lui propose Red Rocket, difficile donc de ne pas comparer la déchéance artistique de Rex avec celle du personnage qu’il interprète. Difficile également de ne pas y voir des relents autobiographiques dans certaines anecdotes que raconte Mikey sur le milieu pornographique. La plupart des critiques ont salué la naissance d’un acteur, mais force est de constater que Rex sillonne le milieu depuis plus de 20 ans désormais. Bien évidemment, des acteurs qui explosent aux yeux de tous alors qu’ils sont implantés dans le milieu depuis des années est assez anecdotique. Seulement, cette force sied parfaitement à Red Rocket puisque Baker semble offrir le film sur un plateau d’argent uniquement à son acteur principal. Simon Rex bouffe littéralement l’écran. Il compose un personnage de loser magnifique qu’on adore détester. Difficile d’approuver tous ses choix, comme celui de s’acoquiner avec une mineure sans jamais y voir le moindre mal, mais pourtant nous ne pouvons éprouver autre chose si ce n’est une compassion certaine pour ce pauvre type.

Sean Baker dresse un portrait peu flamboyant pour lequel il semble éprouver une énorme tendresse. Par le biais de la déchéance de son protagoniste qui ne cherche qu’à retrouver son « american dream », Baker livre une satire individualiste comme moteur omniscient des laissés pour compte. En posant son intrigue au cœur du Texas, Baker va à la rencontre d’une Amérique oubliée, d’une population pro-Trump à qui l’on a promis monts et merveilles et qui entend prouver sa fierté d’être née dans le pays de l’Oncle Sam. En revanche, Baker ne s’embourbe pas dans une image obscure du monde texan. Bien au contraire, Red Rocket brille de mille feux. Avec des couleurs constamment chaudes, le film de Sean Baker insuffle une utopie dans un contexte où la plupart du monde n’y verrait que souffrance et désolation. Chez Baker, acheter et revendre de la marijuana est une activité aussi banale que d’aller distribuer du courrier. Le Texas vu par Baker n’est en aucun cas un no man’s land tel que le spectateur a l’habitude de le concevoir au cinéma. Chez Baker, le Texas se vit comme un immense cauchemar dans lequel toutes les belles rêveries sont permises. Baker promet à son héros un rêve américain à la hauteur de ses ambitions. Ce dernier est juste trop aveuglé pour se rendre compte que son rêve est possible ailleurs qu’à Los Angeles. En ce sens, Red Rocket se montre percutant, mais reste tout de même insuffisant dans ses choix scénaristiques pour tenir la cadence sur plus de deux heures.

En effet, le film manque de corps et reste beaucoup trop en surface des critiques qu’il pointe du doigt. Il flirte dangereusement avec le politiquement correct lorsqu’il décide d’assumer la pleine liberté sexuelle d’un de ses personnages mineure (Suzanna Son est sublime), mais ne choisit pas vraiment d’aller jusqu’au bout de sa provocation avec elle. Le doute subsistera jusqu’à la fin quant à la véracité des propos qu’elle tient sur sa majorité approchante. Red Rocket crée le malaise, c’est certain, encore faut-il donner un vrai sens à ce dernier, chose qu’il ne fait jamais. Il pose également un regard malicieux envers les « underdogs », ces familles pauvres qui vivent de larcins pour parvenir à payer les clopes et le loyer. Baker ne les dépeint pas comme des gens malheureux, bien au contraire. On s’attache profondément à ces personnages, mais, une fois encore, ils ne font office que de fonction. Ils servent l’arc narratif du héros, mais ne changent pas d’un iota. Quand bien même Lexi (l’ex-femme de Mikey) semble présenter une courbe changeante, la finalité de son personnage la ramènera à son point de départ et elle n’aura rien appris en fin de compte. Quel dommage de gâcher autant de joli potentiel uniquement pour desservir Simon Rex. Quitte à avoir une vedette qui se la donne sévèrement, autant donner un peu de biscuit à tous ceux qui gravitent autour de lui, c’est la moindre des choses !

Beaucoup moins incisif et percutant que The Florida Project, Red Rocket est un film entièrement dédié à la gloire de Simon Rex. Sean Baker s’efface derrière le talent indéniable de sa tête d’affiche et lui offre son ticket d’entrée dans la cour des grands. Red Rocket ne fera certainement pas date dans la filmographie de son réalisateur, mais il aura le mérite de nous offrir quelques séquences diablement drôles emmenées par un Simon Rex au firmament de son talent. Et rien que pour ces envolées d’un autre monde, le film mérite qu’on s’y arrête au moins une fois.

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