Je tremble, ô matador : Les tremblements du désir

On l’a remarqué depuis que l’on suit les éditions du festival Chéries-Chéris : le cinéma d’Amérique du Sud est particulièrement engagé sur les causes LGBT, que ce soit au Brésil (l’excellent Vent Chaud sorti l’année dernière), en Argentine ou au Chili. C’est justement un film chilien qui nous intéresse aujourd’hui, Je tremble, ô matador basé sur le seul roman écrit par Pedro Lemebel, auteur et artiste LGBT engagé.

Je tremble, ô matador se déroule au Chili en 1986, en pleine dictature de Pinochet. Par amour pour Carlos, un révolutionnaire idéaliste qu’il vient de rencontrer, La Loca (La Folle, c’est ainsi qu’elle se fait appeler, nous ne connaîtrons jamais son vrai nom), travesti sur le déclin accepte de cacher des documents secrets chez lui. Et tandis que le combat révolutionnaire tient franchement à cœur à Carlos, La Loca ne s’en préoccupe pas plus que ça, subissant les préjugés du côté de Pinochet comme de l’autre (‘’Le jour où la révolution fera la place aux folles, fais-moi signe. J’en serai, et au premier rang’’ dit-il à Carlos). Il voit surtout dans cette opération clandestine un prétexte pour être proche de Carlos, se laissant bercer par un certain romantisme tout en étant parfaitement lucide sur l’impossibilité d’avoir un futur avec lui.

La réussite du film tient dans son mélange joliment maîtrisé des genres, à la fois pur film politique dénonçant une fois de plus la dictature et les dérives du régime de Pinochet (le sujet le plus exploré du cinéma chilien) et romance embrassant sa part de romanesque, n’hésitant jamais à aller explorer la tendresse et l’amour se nichant au sein de ses personnages, le contexte d’un genre nourrissant l’autre. Rodrigo Sepúlveda filme le tout avec intelligence (et dans une belle lumière, à la fois réaliste et romantique), sans excès de sentimentalisme mais avec une volonté constante de coller à La Loca et à ses émotions, réussissant à croquer brillamment le portrait de ce travesti sans illusions mais traversé par l’envie d’aimer encore, quitte à s’écorcher au passage.

Sepúlveda est aidé par un allié de taille dans ce portrait puisque c’est Alfredo Castro qui incarne La Loca. Grand acteur chilien ayant commencé tardivement sa carrière au cinéma (en 2006 chez Pablo Larrain qu’il retrouvera à plusieurs reprises) mais connu depuis plus longtemps pour son travail au théâtre ou à la télévision, Castro est un acteur caméléon ne se laissant jamais enfermer dans un registre, capable d’incarner les personnages les plus glaçants comme les plus tendres. Après l’avoir vu en caïd de prison dans El Principe (justement découvert au festival Chéries-Chéris), Castro émeut en livrant une interprétation loin d’être outrancière, ne cédant jamais aux stéréotypes pour offrir un personnage complet, dont on devine toutes les fêlures dès sa première apparition. Rien que pour lui et pour sa dernière scène sur la plage, Je tremble, ô matador mérite la découverte, qui fera gentiment chavirer votre cœur.

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