Variety : Dis-moi ce que tu observes, je te dirai qui tu es

Distributeur discret mais toujours à l’affût de belles pépites à nous faire découvrir (on se souvient encore de leur rétrospective Ida Lupino en 2020, véritable révélation), Les Films du Camélia distribue une nouvelle rareté : Variety, un film réalisé en 1983 par Bette Gordon et visible dans une version restaurée 2K.

Dès son sujet, Variety intrigue. Se déroulant à New York, il met en scène Christine, jeune femme ayant des difficultés à trouver du travail. Elle finit par décrocher un job d’ouvreuse dans un cinéma porno de Times Square (avec en collègue haranguant les passants l’inénarrable Luis Guzman à ses débuts) et, peu à peu obsédée et fascinée par les sons et les images des films qui l’entourent, elle s’intéresse à un mystérieux homme d’affaires du nom de Louie qu’elle commence à suivre…

On a donc ici tous les éléments d’un thriller mais Bette Gordon prend un malin plaisir à en renverser les codes et à ne jamais offrir de réelle résolution à son récit. Variety se présente en effet comme une fascinante plongée dans le New York du début des années 80, quand la ville vibrait encore au rythme de la 42ème rue (surnommée The Deuce et en vedette de la série éponyme de David Simon et George Pelecanos) chaque nuit. Gordon a volontiers admis son désir de travailler des figures profondément hitchcockiennes (la femme blonde, la filature, le voyeurisme) mais se plaît à les détourner puisque c’est ici Christine la voyeuse. Christine qui suit, Christine qui observe et qui écoute, qui se plonge dans un monde interlope sans jamais nous livrer des clés d’interprétation (‘’en devenant voyeuse, elle n’est plus une énigme à résoudre’’ nous dit Gordon). Le personnage n’existe finalement que par ce qu’elle regarde et c’est ce qu’elle regarde qui devient le sujet du film.

Christine est une éponge, absorbant tout ce qu’elle voit. À plusieurs reprises, elle décrit longuement à son petit ami (un tout jeune Will Patton) les scènes des films qu’elle voit. Souvent figées (notamment dans un plan en hommage au Verdict de Sidney Lumet, tourné l’année précédente), ces séquences happent par leur puissance narrative, reposant uniquement sur les dialogues de Christine que Sandy McLeod incarne avec un mélange parfaitement équilibré de candeur et d’ambiguïté, participant au trouble du spectateur. Assumant totalement sa dimension voyeuriste, Bette Gordon a déclaré ‘’aimer observer. J’ai toujours été fascinée par le cinéma et le plaisir secret, proche du voyeurisme, que je ressens en voyant des gens sur un écran. Puisque le principe de base du cinéma est à la fois de voir et d’être vu (le voyeurisme et son aspect malsain, l’exhibitionnisme), j’ai voulu faire un film qui abordait ces aspects.’’ Une phrase en forme de note d’intention pour un film transgressant les codes du film noir, renversant ses figures habituelles pour proposer un récit tout à fait troublant où le voyeurisme prend une autre dimension à travers Christine. Difficile de ne pas ressortir fasciné par cette proposition, variation habile sur le regard certes, mais aussi portrait naturaliste d’un New York qui n’existe plus et qui vit de nouveau sous nos yeux le temps du film, un temps précieux que l’on vous invite à prendre pour le découvrir, vous ne le regretterez pas !

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