Les Magnétiques : Amour numérique à l’ère analogique

Pour la sortie en DVD du film Les Magnétiques, nous avons fait le choix d’accompagner cet article d’un entretien avec le réalisateur Vincent Maël Cardona tout juste auréolé du César du meilleur Premier Film. Philippe, jeune DJ en devenir, voit son monde chamboulé lorsqu’il tombe amoureux de la petite amie (Marianne) de son frère aîné (Jérôme) mais se retrouve obligé de quitter son village natal pour effectuer son service militaire sans avoir eu le temps d’avouer ses sentiments. Le titre des Magnétiques fait donc autant référence aux bandes magnétiques présentes tout au long du récit qu’à l’attirance passionnelle vécue par les personnages de Philippe et Marianne. Néanmoins, le film n’est ni un film sur le monde de la radio pendant la libération des ondes, ni un film sur ce triangle amoureux fraternel. La volonté du réalisateur est ailleurs, dans l’intimité des changements profonds que vit le personnage de Philippe.

Le film débute sur les résultats de l’élection de 1981 menant à l’élection de François Mitterrand, premier président de Gauche de la Vᵉ République française. Un groupe de jeunes (parmi lesquels on peut apercevoir la jeune star de la série Netflix annulée Drôle Younès Boucif) hurlent de joie, dansent et boivent à l’intérieur d’un bar de campagne. Seul Philippe, dont l’entêtante voix ne tardera pas à résonner dans nos oreilles, reste assis sur sa banquette, obnubilé par cette femme arrivée en retard avec sa fille. Son nom, on ne le connaît pas encore, mais son visage hantera chacun des plans où il est absent. Maintenant possédée par l’ivresse, cette jeunesse célèbre l’avènement d’une nouvelle décennie politique. Le contraste est alors saisissant avec nos dernières élections présidentielles gagnées par un sentiment de désabusement. Les années 80, c’est aussi la croyance en la possibilité en un meilleur futur même si personne n’est dupe comme l’indique la longue tirade de Jérôme lors de l’introduction de sa radio pirate. Un sentiment mélancolique, presque mortifère prend tout de suite possession du film. Philippe est mué par une sorte de léthargie, de quasi-dépression, comme si le futur venait déjà interférer avec le présent.

En tant que spectateur, nous sommes portés par les errances de ce personnage promis à un grand avenir. Tout le monde semble être au courant de son potentiel sauf lui qui s’accroche désespérément à la sécurité de son village natal. Il faudra attendre son enrôlement forcé au service militaire pour qu’il sorte enfin des schémas dans lesquels restera tragiquement son frère en perpétuelle rébellion contre une autorité fantoche. Le service est présenté comme un repère de « males alpha » qui, pour s’amuser, se masturbent dans un coin et ne peuvent ainsi pas être plus éloignés d’un Philippe discret et solitaire. La paix, il la trouvera en revenant vers le connu : la radio de l’armée. Mais lorsqu’il tombe sur un message de Marianne lui avouant son amour à l’intérieur d’une cassette audio, sa passion ne peut plus être contenu. Incapable d’exprimer ce qu’il ressent avec des mots, Philippe utilise une sorte de stratagème digne des plus grands DJ modernes pour créer une déclaration expérimentale, presque cacophonique mais avant-garde de ce que la musique deviendra dans les décennies suivantes. Avec les années 80, c’est l’ère de la machine et du numérique qui se met doucement en place, accroissant toujours plus leur place dans nos vies. En ce sens, Philippe est un homme légèrement en avance sur son temps et donc à l’heure. Il ne lui suffit que de prendre son envol, la réussite viendra immanquablement.

Les Magnétiques impressionne avant tout par une maîtrise formelle réjouissante, surtout lorsqu’on a en tête qu’il s’agit d’un premier long métrage. La reconstitution du Berlin de ces années-là est à la fois sobre et convaincante. Les acteurs sonnent tous vrais par rapport à leur époque. Il suffit de lire la manière dont Vincent Maël Cardona a travaillé leur jeu dans l’entretien qui accompagne cet article pour comprendre comment ils sont arrivés à une telle justesse. Que ce soit la musique ou le travail sur le son de façon plus générale, l’ambiance dégagée par le film est toujours en adéquation avec notre représentation de l’époque. Si vous l’avez raté lors de sa sortie en salles, il est donc bon de rattraper Les Magnétiques dans cette belle édition DVD.

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