Passeport pour Hollywood : Entretiens indispensables avec grands cinéastes

Non content d’éditer de façon régulière des immanquables du cinéma en vidéo, Carlotta édite également, de façon plus occasionnelle mais tout aussi indispensable, des livres sur le cinéma. Le dernier en date (disponible depuis le 5 mai dernier), Passeport pour Hollywood est la réédition augmentée d’un recueil d’entretiens entre Michel Ciment et six cinéastes. Quand on connaît la qualité des entretiens effectués par Michel Ciment (son livre Une renaissance américaine avait bercé nos études cinéphiliques), on ne peut que se réjouir d’avoir entre les mains un tel ouvrage, regroupant plusieurs entretiens avec Billy Wilder, John Huston, Joseph L. Mankiewicz, Roman Polanski, Milos Forman et Wim Wenders. Des cinéastes qui ne sont pas choisis au hasard dans ce livre questionnant la notion de cinéma en Amérique, comment filmer ce pays ? Comment filmer dans ce pays ? En mettant en parallèle le point de vue de trois anciens metteurs en scène du Nouveau Monde parmi les plus grands et de trois nouveaux réalisateurs de l’Ancien Monde venus filmer en Amérique, Passeport pour Hollywood entend nous plonger dans une certaine histoire orale des grands studios hollywoodiens tout en questionnant les conditions de création à Hollywood de nos jours.

Le Limier

Évidemment, notre goût affiche une certaine préférence pour la première partie du livre et ce avec d’autant plus de bonheur que Billy Wilder et Joseph L. Mankiewicz, peu friands de l’exercice de l’entretien sont des cinéastes figurant dans notre panthéon personnel. Le bonheur de les lire nous raconter plus en détails leurs parcours, leurs anecdotes de travail et leur vision du cinéma est palpable à chacune ligne parcourue. Wilder s’y montre aussi drôle et mordant que ses films (quiconque a lu son livre d’entretiens avec Cameron Crowe le savait déjà) tandis que Mankewicz affiche également une conception du travail et de la vie très proche de son cinéma avec une lucidité impitoyable sur Hollywood, le cinéaste déclarant dès le début des années 70 que producteur est devenu un métier de comptable, ce qui n’a peut-être jamais été aussi vrai aujourd’hui où les financiers des studios n’ont absolument aucune notion de cinéma et ne se basent que sur des chiffres pour faire leur travail. Cette première partie (où Huston, cinéaste fort passionnant également se montre prolixe, notamment sur son travail avec les acteurs) avec ces monstres sacrés permet de cerner l’évolution des conditions de production à Hollywood, ces cinéastes ayant débuté lors de l’âge d’or des studios pour poursuivre une carrière jusque dans les années 70 (pour Mankiewicz) et 80 (pour Wilder et Huston). Michel Ciment pointera d’ailleurs à juste titre dans l’introduction du recueil que ce sont là trois cinéastes témoignant dans leur vieillesse d’une grande ouverture d’esprit et d’une surprenante agilité intellectuelle. Contrairement à beaucoup de réalisateurs qui leur sont contemporains, Wilder, Huston et Mankiewicz ont fait des films tardifs parfaitement réussis (on est même en droit de considérer Le Limier comme le chef-d’œuvre de Mankiewicz) sans présenter de signes d’essoufflement ou de répétition, chose rare à l’orée de la décennie 70 où le système des studios s’effondre.

Mais la seconde partie du livre est tout aussi passionnante puisqu’elle permet à trois cinéastes venus d’Europe de poser leur regard sur l’Amérique, confrontés à une idée du pays fantasmée bien avant leur arrivé et à des expériences sortant forcément du cadre de celles qu’ils avaient pu expérimenter dans leur pays natal. Là-dessus, c’est Milos Forman qui fascine le plus puisque son regard envers des récits (Hair, Ragtime) ou des personnages typiquement américains (McMurphy dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, Larry Flynt dans Larry Flynt ou encore Andy Kaufman dans Man on the Moon) est toujours doté d’une perspicacité assez stupéfiante, le cinéaste aimant profondément l’Amérique tout en étant parfaitement conscient de ses paradoxes qu’il aime dénoncer vigoureusement avec humour dans ses films.

Milos Forman avec Tom Hulce sur le tournage d’Amadeus

Ces six entretiens se lisent avec une gourmandise extrême et témoignent de l’intelligence de Michel Ciment dès qu’il s’agit d’aborder ses entretiens, le critique affichant toujours un souci du détail, n’hésitant pas à demander plus de précisions ou à confronter son interlocuteur face à une réponse évasive ou fallacieuse. C’est ainsi que Passeport pour Hollywood se dévore et se montre particulièrement précieux pour mieux comprendre encore la mécanique hollywoodienne et son mode de fonctionnement à travers le temps. Il sera encore plus précieux pour quiconque affiche une certaine affinité pour l’un ou plusieurs des cinéastes interrogés, permettant de lever le voile sur certains moments de leur carrière, de mieux comprendre une œuvre et de donner envie de s’y replonger. Vous l’aurez donc compris, comme toujours avec Carlotta, Passeport pour Hollywood est un achat indispensable et pour achever de vous en convaincre, nous vous laissons avec une savoureuse allégorie de Joseph L. Mankiewicz expliquant le rôle d’un producteur :  »Un producteur, un metteur en scène et un scénariste sont perdus dans le désert de Mojave où ils font des repérages. Ils décident afin de ne pas mourir d’utiliser leurs talents respectifs pour s’en tirer. L’écrivain trébuche, voit un rocher, le pousse, découvre une énorme boîte de jus de tomate à l’ombre, protégée de la chaleur et il s’écrie : « Je suis l’écrivain. J’ai découvert la substance qui nous permettra de survivre. » Le metteur en scène s’approche et déclare en tirant un couteau de sa poche : « C’est moi qui vais la rendre accessible et ouvrir la boîte pour que nous partagions. » Ils s’apprêtent à boire lorsque le producteur se dresse avec le peu de force qui lui restent, et dit : « Attendez, je veux d’abord pisser dedans. » Fondamentalement, c’est ce que fait le producteur, il pisse dans le jus de tomate. »

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