The Northman : To Hate Or To Love, That Is The Question

Représentant d’un certain cinéma fantastique indépendant depuis The Witch, son premier long métrage sorti en 2014 et révélant au passage ses talents de cinéaste et l’actrice Anya Taylor-Joy, Robert Eggers avait creusé la singularité de sa filmographie avec The Lighthouse qui voyait Robert Pattinson et Willem Dafoe frôler la folie dans un phare isolé de la civilisation. De façon assez étonnante, voilà qu’un studio confie 90 millions de dollars au cinéaste (là où The Lighthouse en avait coûté 11 et The Witch seulement 4) pour qu’il puisse réaliser The Northman, fresque viking ambitieuse revisitant la légende du prince Amleth (qui inspirera Hamlet à Shakespeare) dotée d’un sacré casting : Alexander Skarsgard, Anya Taylor-Joy, Nicole Kidman, Claes Bang, Ethan Hawke et Willem Dafoe se partageant l’affiche.

Si l’on s’étonne qu’un studio ait confié à Eggers un budget aussi large, nous n’allons certainement pas nous en plaindre puisque The Northman remplit parfaitement sa mission, à savoir conjuguer la vision artistique singulière du réalisateur tout en offrant un divertissement cochant les cases du grand spectacle, se montrant exigeant avec son public mais pas hermétique non plus. Cette rencontre fait des merveilles puisqu’en signant son film le plus accessible sans sacrifier son intégrité artistique, Eggers réalise au passage son meilleur long métrage.

L’histoire est donc connue, à quelques variations près : Amleth voit son père, un roi viking, assassiné des mains de son frère alors qu’il n’est qu’un jeune enfant. Fuyant sa contrée natale, il fait le vœu de se venger de son oncle Fjölnir et de sauver sa mère. Bien des années plus tard, devenu guerrier dans un clan, il voit l’opportunité d’accomplir sa destinée et se rend en Islande, sur les terres de son oncle en se faisant passer pour un esclave. Aidé par Olga, une jeune femme vendue également comme esclave à Fjölnir, Amleth met donc en application sa terrible vengeance sans se douter de ses implications…

La force du film, au-delà de sa puissance visuelle (tous les plans sont absolument superbes) tient à la simplicité de son récit. Amleth n’est mû que par son désir de vengeance, c’est ce qui le fait avancer et c’est à ce désir que colle la mise en scène, faite de nombreux travellings épousant la même énergie que son protagoniste, chose visible dès une attaque particulièrement violente dans un village filmée en plan-séquence. Loin d’entraver la narration, ce moteur d’une simplicité implacable convient parfaitement à ce que Eggers entend filmer, s’emparant de la légende bien connue d’Amleth pour visiter toute une mythologie viking qui le fascine et qu’il se plaît visiblement à filmer dans la multiplication de ses rituels. Évidemment, on songe à Valhalla Rising pour la similitude de la période et la beauté plastique ou encore à The Revenant pour le tournage froid et difficile effectué ici en Irlande du Nord mais c’est surtout à The Green Knight que l’on pense. En effet, comme le film de David Lowery sorti en début d’année sur Amazon Prime Video, The Northman emprunte la structure et la forme d’un poème épique et chacune de ses séquences pourrait presque être directement extraite d’un vieux parchemin enluminé racontant la légende. L’impression d’assister à un spectacle quasiment mythologique (quand bien même on connaît les moyens technologiques avec lequel le film a été tourné) est ainsi constante, comme si Eggers avait saisi la profonde substance épique de son récit.

Il est ainsi saisissant de se voir autant happé par le film qui, s’il frôle parfois une certaine complaisance auteuriste, parvient toujours à éviter ce gouffre en faisant avancer son histoire avec la même détermination que son héros. Alexander Skarsgard y est d’ailleurs pour beaucoup dans la réussite globale de l’entreprise, l’acteur s’y montrant impressionnant dans le rôle principal, jouant le personnage comme une bête féroce, dégageant un charisme bestial et particulièrement brutal, suivant jusqu’aux portes de l’enfer les fils de son destin. Tout le casting est d’ailleurs excellent, composant avec charisme des personnages parfois troubles, tous mus par des instincts primitifs et sauvages. De quoi achever de faire de The Northman l’une des grosses claques de cette année 2022 pour l’instant assez avare en véritables chocs cinéphiles. Le plaisir de découvrir sur grand écran une telle proposition de cinéma, tutoyant des sommets de splendeur esthétique, est ainsi particulièrement intense et le fait que l’ensemble soit soutenu par un gros studio hollywoodien en fait une délicieuse anomalie qui, on l’espère, en inspirera d’autres…

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*