
Pourvoyeur de découvertes cinéphiles, Carlotta continue cette année de s’inscrire dans une politique éditoriale en deux mouvements : d’un côté les gros classiques immanquables du cinéma autour de réalisateurs phares (avec récemment la sortie en coffret ultra-collector de La chair et le sang) et de l’autre, les films plus discrets mais tout aussi immanquables, découvertes cinéphiles à faire d’urgence. De fait, à force de suivre le travail de cet éditeur, on peut être certain d’une chose : s’ils éditent un film, c’est qu’il faut le voir. C’est évidemment le cas avec Typhoon, film taïwanais disponible en Blu-ray et DVD dans une nouvelle restauration 2K depuis le 15 mars dernier.

Œuvre singulière dans le cinéma taïwanais de l’époque, Typhoon raconte les destins croisés de plusieurs personnages se retrouvant dans une station météorologique au sommet d’une montagne. Il y a d’abord Chun-li, épouse du météorologue logeant à la station. Délaissée par son mari et sujette à la dépression, elle trompe son ennui dans l’alcool. C’est alors qu’arrivent M. Zhang et sa fille Zhen-zhu, venant apporter un souffle nouveau à l’existence de Chun-li. Mais elle ignore que M. Zhang n’est autre que Da-hao, un gangster fuyant la police et que Zhen-zhu n’est pas sa fille mais une gamine fugueuse que Da-hao a bien voulu emmener avec lui. Sur le sommet de la montagne, la nature va révéler les désirs et les frustrations des personnages…
Pour comprendre l’audace de Typhoon, il faut le remettre dans son époque, celle d’un cinéma vivement contrôlé par la République de Chine, plus enclin à censurer et à encourager la propagande qu’à laisser un souffle de liberté s’insérer dans la production cinématographique. On s’étonnera alors que Typhoon soit aussi libre dans son sujet et dans la caractérisation de ses personnages, défiant les conventions morales. Apparemment, la production du film aurait été validée alors que la Central Motion Picture Corporation se retrouvait en manque de films à présenter dans les festivals. Typhoon a donc pu être financé assez rapidement avec une liberté rare pour l’époque.

On ressent dans le film combien Pan Lei est inspiré par son sujet : les grands espaces naturels servent de révélateurs à la psychologie des personnages. Ici la nature changeante rend libre autant qu’elle enferme et catalyse toutes leurs problématiques, allant de la dépression au désir irrépressible, filmé ici lors d’une scène de danse pleine de sueur, sommet de l’érotisme pour l’époque (les baisers étaient censurés à l’écran). L’érotisme se glisse d’ailleurs partout, de la moiteur des décors jusqu’à l’interprétation de Hong Mu, remarquable en femme au désir qui s’éveille et dont la prestation est comparée (à juste titre) dans les bonus de l’édition à celle d’Elizabeth Taylor dans La chatte sur un toit brûlant.
On remarquera également un goût prononcé pour l’ambiguïté, le film ne calant jamais ses personnages au sein d’une même case. Ainsi Chun-li peut avoir notre compassion comme susciter notre antipathie en se montrant injustement cruelle tandis que, tout criminel qu’il est, Da-Hao noue une relation sincèrement tendre avec la jeune fille qu’il prend sous son aile, avec plus de bienveillance que la mère de celle-ci aperçue au début du récit. Typhoon est ainsi comme ses personnages, jamais réellement ce qu’il prétend être, complexe et changeant, chaque séquence nous menant vers la suivante de façon imprévisible. C’est ce qui fait toute sa force, le film se vivant comme une tempête cinéphile dont il serait fort dommage de se priver tant la proposition s’avère inédite et enthousiasmante, surtout que le master dégoté par Carlotta est superbe !
1 Rétrolien / Ping