
En voilà du bon, du beau cinéma simple comme bonjour mais qui ravive nos âmes de cinéphiles désenchantées par le tout-venant des années 2020, triste décade inaugurée par une crise sanitaire qui promet (hélas) de perdurer pour une durée encore indéterminée, des tensions civiles de plus en plus sensibles dans nos contrées françaises à l’aune du second tour des présidentielles de ce mois d’avril et – pis que tout – une guerre en Ukraine n’arrangeant clairement rien à l’affaire. Joliment et astucieusement ancré dans son époque le premier long métrage du (pour le moment) méconnu Louda Ben Salah-Cazalas présenté à la dernière Berlinale et visible dans nos salles obscures depuis le 20 avril est de ces petits films follement charmants et lucides dans le même mouvement de douce-amertume, formidable révélateur des crises ambiantes et d’une société sclérosée par le cynisme et les faux-semblants d’un vivre-ensemble plus pathétique que jamais.

Dans la droite lignée du savoureux Un Monde sans pitié de Eric Rochant tourné à la fin des années 80 Le Monde après nous s’attarde avec humanité et gentillesse (mais attention, la vraie de vraie, pas celle condescendante consistant à sourire commercialement et hypocritement au nez de la marchandise cinématographique, ndlr) sur la figure de Labidi, trentenaire profondément aimable et volontaire perdant littéralement « sa vie à la gagner » entre deux courses de Deliveroo, des études visiblement peu fructueuses et surtout, SURTOUT, un vague projet de roman ayant suscité l’intérêt d’une maison d’édition annonçant le deal sans le moindre état d’âme… De ce quotidien jalonné de galères et de pressions sociales en veux-tu, en voilà va néanmoins surgir la belle Élisa de sept ans sa cadette, parisienne dont le créatif, maladroit mais bienveillant Labidi va immédiatement s’enticher pour mieux lui proposer l’amour, l’eau fraîche et tout le toutim…

Simple, aucunement sur-filmé car toujours au service de ses personnages et surtout de son protagoniste (nous pouvons du reste voir en la figure de Labidi interprété magistralement par Aurélien Gabrielli un alter-ego potentiel du jeune cinéaste, la dimension autobiographique ou du moins auto-fictive du métrage servant pratiquement de fil rouge à l’intrigue, ndlr) Le Monde après nous détient avec convenance mais force les charmantes imperfections des premiers films, à l’image d’un Labidi gauche fredonnant amoureusement du Larusso un beau soir de karaoké à sa promise (Louise Chevillotte, déjà aperçue entre autres choses chez Philippe Garrel et Paul Verhoeven, est ici particulièrement confondante de naturel). Tout, jusque dans ses stéréotypes les plus éculés allant du personnage de l’éditrice proprement réfrigérante et pragmatique à celui de la vendeuse et opticienne cultivant une cool attitude trop belle pour être vraie, transpire le parfum d’une époque en proie au broyage de l’humain au profit du boulon économique et du rendement produit à vitesse V… Et lorsque l’un de ses camarades d’amphi surprend Labidi aux portes de son habitacle alors qu’il effectue une énième livraison à domicile ce dernier rétorque, confus, qu’il cherche là une matière véritable à son projet d’écriture. « C’est vachement contemporain« , lâchera son comparse dans l’embrasure de son appartement avant de voir le jeune écrivain en herbe s’éclipser à dessein…
Un film tenant tout seul sur ses 85 minutes entièrement consacrées à ses personnages et à leurs racines vivantes, preuve qu’un bon sujet et une caméra débarrassée d’esbroufe suffisent parfois à produire une belle réussite de cinéma. Un joli miracle qui ne paye à priori pas de mine mais qui émeut, fait souvent rire jaune mais touche notre cœur et notre esprit comme peu de films actuels. A voir absolument.
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