Les Yeux de Laura Mars : Gazed to Kill

Depuis Le Voyeur de Michael Powell datant de 1960 à l’incontournable Psychose d’Alfred Hitchcock sorti la même année en passant par le Blow Up de Michelangelo Antonioni, les films de Mario Bava et ceux du prolifique Dario Argento le Septième Art a su nous réserver bon nombre de thrillers au coeur desquels la pulsion scopique faisait figure d’authentique chaînon manquant entre fantasme meurtrier et passage à l’acte irréversible. Affaire de voyeurisme ou d’obsession fétichiste ce désir de voir à tout prix fut l’axiome pragmatique des plus grands réalisateurs des décennies 60 et 70, qu’il s’agisse de cinéastes tels que Wes Craven et surtout John Carpenter ayant donné ses lettres de noblesse au slasher américain ou des maîtres du giallo italien (Mario Bava et Dario Argento, de fait, mais également des auteurs comme Lucio Fulci ou Massimo Dallamano, ndlr). Un réalisateur tel que Brian De Palma alla même jusqu’à faire de ce précepte essentiel son terrain de jeu prioritaire, épigone hitchcockien par excellence ayant littéralement vu le cinéma « à travers les yeux de son mentor » afin de nous offrir quelques-uns des longs métrages les plus riches et les plus passionnants du Nouvel Hollywood et des années à suivre (Sisters, Obsession, Pulsions, Blow Out ou encore le très ironique et manipulateur Body Double, formidable et mésestimée relecture de Sueurs Froides et Fenêtre sur Cour de Sir Alfred…).

Voir à travers les yeux d’un autre : tel pourrait être l’argument primitif du premier scénario horrifique que John Carpenter écrit à la fin des années 70 en simultané de la réalisation de La Nuit des Masques, chef d’oeuvre et pierre angulaire du slasher qu’il n’est aujourd’hui plus besoin de présenter… Ce scénario, aux accents giallesques très prononcés mâtinés de tensions urbaines, est celui de ce qui deviendra la réalisation charnière de l’outsider Irvin Kershner (futur responsable de l’incontournable second volet de la première trilogie de La Guerre des étoiles sorti au tout début des années 80 – L’Empire contre-attaque, ndlr) : l’ambitieux Les Yeux de Laura Mars, thriller prenant comme têtes d’affiche l’icône glamour américaine Faye Dunaway et le charismatique Tommy Lee Jones alors encore à ses débuts, film désormais disponible en combo Blu-Ray et DVD aux éditions Sidonis depuis le 24 mars de cette année…

Au sortir de cette intrigue de photographe de renom explorant la violence dans ses représentations les plus extrêmes (poses féminines particulièrement sexuées, reconstitutions d’accidents en tous genres, viols et autres expériences limites…) et amenée à assister aux meurtres consécutifs des membres de son entourage féminin par le truchement du regard d’un mystérieux assassin nous ne pouvons que nous rendre à cette simple et dommageable évidence : en dépit de sa belle proposition et de sa matière scénaristique conséquente Les Yeux de Laura Mars déçoit considérablement. Trop erratique dans son agencement global, maladroitement construit et soit trop, soit pas assez démonstratif le film de Irvin Kershner avait pourtant toutes les cartes en main pour assurer sa réussite. Hélas rien ne se démarque de ce salmigondis narratif oscillant entre une photographie « papier glacé » et des visions subjectives de meurtres à la fois cruellement vieillottes et trop lourdement amenées dans le récit. Peu original Les Yeux de Laura Mars ne promet finalement rien de mieux que n’importe quel giallo sur le plan purement fonctionnel, Irvin Kershner se contentant d’accoucher d’un whodunnit peu inspiré et surtout tombant régulièrement à plat.

Si Tommy Lee Jones parvient néanmoins à séduire de sa seule présence tour à tour froide et magnétique Faye Dunaway livre ici une prestation somme toute assez médiocre, sans attraits ni réelles convictions. Entre son montage raboteux, son répertoire musical à la fois kitsch et parfois poussif et sa forme hétéroclite fleurant bon le brouillage artistique Les Yeux de Laura Mars tient résolument davantage de l’anecdote que de l’oeuvre mémorable, en dépit de son concept et de ses thématiques à priori fascinantes. Une amère déception.

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