Ma Famille Afghane : Rencontre avec Michaela Pavlátová

Ma Famille Afghane est un projet tout à fait étonnant. Adapté du livre de la journaliste Petra Prochazkova sur la vie d’une femme tchèque ayant tout quitté pour s’installer en Afghanistan avec son mari,  Michaela Pavlátová dresse le portrait d’une femme ambiguë à la fois tiraillée entre son éducation occidentale et le mode de vie afghan. Pour raconter cette histoire, Michaela Pavlátová a préféré rester minimaliste sur l’utilisation des possibilités que peuvent offrir l’animation. C’est donc tout naturellement que j’ai commencé notre entretien avec ce sujet.

En tant que réalisatrice d’animation, qu’est-ce qui vous a attiré dans cette histoire ?

Je voulais trouver une histoire complexe avec un personnage féminin intéressant. Une histoire avec du drame, de l’émotion et des rires, une histoire qui pourrait être tournée en live-action. En animation, je vois souvent des histoires qui sont peut-être trop simplifiées. Je voulais faire quelque chose pour un public adulte.

A votre avis, qu’est-ce que l’animation a pu apporter de plus à l’histoire ?

Quand on me demande parfois pourquoi ce film est en animation, j’aime répondre : pourquoi pas ? L’animation est le format que je préfère. C’est aussi en animation que vous pouvez dessiner tout ce que vous voulez et c’est légèrement plus facile de dessiner l’Afghanistan que de le construire au Maroc. Mais ce n’est qu’un aspect, je pense qu’en animation vous devez obligatoirement simplifier. Vous êtes donc obligé de choisir ce que vous voulez montrer parce que dans la réalité il y a tellement de détails, et je ne veux pas dire que cela peut distraire mais si vous dessinez le personnage en animation et que le personnage ne fait que cligner des yeux, le clignement des yeux prend soudainement une grande importance parce qu’il n’y a rien d’autre. L’autre chose est que l’animation n’est pas réelle. Je voulais que dans mon film, on puisse oublier que c’était de l’animation. Certaines personnes disent que s’ils imaginent ce film en live-action, il ne serait pas plaisant à voir, trop direct… Parfois, il est plus facile de montrer de la violence ou du sexe (même si le sexe n’est pas au centre de ce film). En animation, vous pouvez aller plus loin en restant simplement dans la métaphore ou le symbolisme. Je n’utilise pas tant que ça les outils de l’animation, seulement dans certains moments.

Dans la scène du Skateboard par exemple ?

Oui, tout à fait. J’avais absolument envie de respecter l’histoire. Certaines métaphores présentes dans le livre nous déconnectaient et je voulais vraiment que le public se concentre sur l’histoire.

Comment les récents événements en Afghanistan ont impacté le film ? 

En animation, un projet peut prendre des années. L’Afghanistan est un pays si compliqué que les gens finissent par être lassés : ce sont des fauteurs de trouble. Les gens ne veulent plus s’impliquer dans un pays où il y a toujours des problèmes, surtout maintenant que l’Occident a essayé d’aider et échoué en la matière. Mais le pays et les habitants sont toujours là. Quand on a commencé à faire le film, on a demandé au producteur si des personnes pourraient être intéressées par un film sur l’Afghanistan et il a dit : “On sait jamais, cela va prendre du temps donc d’ici là, soit la situation se sera améliorée, soit quelque chose d’horrible arrivera”. Nous nous sommes concentrés sur le film sans nous soucier de ça. Nous l’avons fini en mars et fait la première au festival d’animation d’Annecy. Sauf que la prise de pouvoir des talibans date de cet été. Soudainement, l’Afghanistan faisait la une des journaux et nous sommes devenu le film le plus important du festival tchèque de Karlovy Vary où nous faisions une projection. On a donc profité d’une publicité inattendue même si on aurait préféré profiter d’une autre forme de publicité moins triste.

Nous avons cette image de Kaboul comme une ville plus ouverte que le reste du pays. Mais on se rend compte que ce n’est pas vraiment le cas puisque le sort des femmes dépend uniquement du bon vouloir de leur mari.

Je sais qu’il y a une grosse différence entre Kaboul et les provinces mais ce n’est pas vraiment le sujet film.

Étiez-vous proche de l’autrice du livre ? Avez-vous travaillé avec elle ?

Je lui ai parlé mais je n’ai pas travaillé avec elle. C’était génial car il y avait d’abord le livre puis l’adaptation par deux scénaristes et parfois la présence de l’auteur est plus une complication qu’autre chose. Le livre et le film sont complètement différents. Petra est une femme très occupée à écrire, voyager et aider des organisations. Elle nous a juste donné tous les éléments dont on avait besoin puis nous a complètement oublié. Quand on l’a appelé pour l’inviter à une projection, elle était surprise. Mais j’étais contente qu’elle approuve le film parce que je l’avais prévenu au début que l’adaptation en animation simplifierait inexorablement l’histoire et elle était étonnée de voir qu’ils restait autant d’éléments du livre dans le film. C’était important pour moi qu’elle dise que l’Afghanistan ressemble bien à ce que l’on a montré.

Qu’avez-vous changé par rapport au livre ? Quels étaient vos choix d’adaptation ?

Le livre est écrit comme une mosaïque d’observations de la vie quotidienne de la protagoniste Herra. C’était nécessaire de choisir les plus importants, ceux qui marchent le mieux visuellement. Ensuite, nous avons diminué le nombre de personnages. Dans le livre original, il y a plus de personnages : le père de Nazir, d’autres membres de la famille, plus d’enfants… En animation, on n’avait pas besoin d’autant de personnages. Le livre est plein d’humour. C’est aussi ça qui le rend attractif car, n’ayant jamais connu l’Afghanistan, je n’aurais pas été aussi intéressé par le livre dans le cas contraire. Tout est vu sous la perspective d’une femme européenne. Je sens que d’une certaine façon, c’est moi qui me trouve là-bas. Nous avons gardé la fin. Il était nécessaire de souligner le drame parce que dans le livre, l’histoire n’est pas linéaire .

Est-ce que vous parlez Dari (langue la plus parlée en Afghanistan) ? Était-ce dur de caster les acteurs ?

Je ne parle pas Dari. Je ne pouvais pas imaginer le casting mais j’ai reçu une grande aide des producteurs français. Ils ont trouvé des réalisateurs afghans qui ont fait la FEMIS et qui m’ont aidé à préparer les acteurs. Les acteurs faisaient un si bon travail ! J’étais si surprise. La première version qu’on a doublé était tchèque donc ils ont pu se baser là-dessus pour comprendre quelle quantité d’émotion je souhaitais avoir pour chaque scène.

Propos recueillis par Léo Cohen le jeudi 7 avril à Paris.

Remerciements à Michaela Pavlátová pour sa gentillesse et à Marion Seguis de l’Agence Déjà pour avoir permis cet entretien.

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