La Chair et le Sang : Bénie soit la Misanthropie

Le sang se projette d’emblée par la couleur rouge vif d’un générique agressif. La composition sublime et guerrière de Basil Poledouris accompagne les différents cartons présentant le casting d’un film qui promet de ne pas laisser indifférent. Le noir et le rouge se mêlent alors pour symboliser La Chair et le Sang. De ce noir, le film s’introduit en glissant vers un champ de bataille barbare. Nous sommes en 1501 quelque part en Europe. Paul Verhoeven, dont c’est le premier essai en partie américain, est indifférent au lieu, car ce qui l’intéresse est la chair. De cette chair en découle logiquement le sang. Mais tout le long du film, le metteur en scène hollandais va s’accrocher aux corps, à leur puissance et leurs pouvoirs, mais aussi à leurs faiblesses.

La Chair et le Sang est une combinaison d’association pour produire le premier long métrage ambitieux d’un réalisateur hollandais déjà confirmé. En 1985, Paul Verhoeven en est déjà à son septième film après une période hollandaise bluffante. La Chair et le Sang est sa porte d’entrée vers Hollywood qui le sollicite ardemment. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. Le scénario écrit par Gerard Soeteman et Paul Verhoeven perd sa veine romanesque et fraternelle pour devenir une œuvre barbare, un combat d’hommes pour une femme. Le réalisateur plie face aux exigences des producteurs américains, mais va tomber face aux caprices d’un Rutger Hauer devenant une star montante. Après ses participations sur Blade Runner et LadyHawke de Richard Donner, l’acteur fétiche de Verhoeven a des revendications concernant le rôle de Martin. Le réalisateur et l’acteur sont en discordes constantes, plombant un tournage catastrophique. Financé à hauteur de 7 millions de dollars, La Chair et le Sang devrait en coûter 40 millions. En cause : les lieux de tournage, notamment le château délabré à reconstruire au compte-goutte, ce même château qui avait servi de décors pour Le Cid d’Anthony Mann avec Charlton Heston. 
La mauvaise ambiance va nourrir le délabrement de l’équipe entre drogue, alcool et sexe. Deux jumelles mineures seront retrouvées avec un membre de l’équipe. Un film dont la chair est définitivement le sujet devant et en dehors de la caméra.

Le grand talent de Paul Verhoeven est de savoir se défaire de ses situations incongrues pour livrer un essai remarquable. Considérée par lui-même comme un échec artistique, l’œuvre n’en est pas moins passionnante. Se déroulant dans une période ambiguë entre barbarie et modernisme, le long métrage est la lutte incessante de deux hommes pour l’amour d’une femme. Un sujet rattrapé de justesse par Paul Verhoeven après les modifications imposées par la production américaine. Dans ce rôle central de femme enlevée, torturée et violée, Jennifer Jason Leigh crève littéralement l’écran. Interprétant la jeune princesse Agnès âgée de 15 ans, elle est promise au fils du Roi Arnolfini. Mais elle est enlevée par la bande de mercenaires menée par Martin, se vengeant suite à la trahison du roi. Le prince Arnolfini va alors tout faire pour la récupérer. 
Récit d’aventures passionnant élaboré dans un monde arriéré, La Chair et le Sang mute au fur et à mesure des minutes défilantes. Débutant comme un traitement acide de la religion délivrant bêtement leurs prêches sur des ânes bâtés partant dans une guerre de conquête aux justifications chrétiennes (« La guerre c’est pour les sots » dit Arnolfini à son fils), La Chair et le Sang se développe comme un survival féministe où Agnès, personnage ambigu et malin, va se jouer des mercenaires et des hommes pour trouver sa liberté. Martin n’est pas dupe, mais son imbécillité d’homme brute va se satisfaire de la luxure d’une princesse dans son lit. Il faut le voir arriver en blanc, beau comme un prince après une première nuit d’amour avec Agnès dans ce château conquis dans le sang. 

Une luxure qui va coûter la liberté à ces hommes et femmes sans éducation. Des mercenaires qui resteront des âmes en roue libre face à la religion les guidant vers leur perte, vers la mort. La bêtise atteint la chair pustulant leurs corps par la peste. Cette peste ayant atterri de façon réfléchie dans leurs gamelles, mais présente dès leur massacre dans ce château à première vue si accueillant. La religion créant l’abcès sur la chair après avoir installé la débauche et le faste pour des barbares à qui de non droits. 

Entre Renaissance et Moyen-Âge pourri, La Chair et le Sang est le constat de Verhoeven d’un monde s’étant créé sur des valeurs malsaines. L’histoire d’un entre-deux restant ouvert, deux destinées, la naissance et la mort de deux mondes s’opposant sur des valeurs ne pouvant se conjuguer. Un constat poussé jusque dans notre monde contemporain trouvant écho dans une filmographie vaste aux liens évidents. De La Chair et Le Sang vers Starship Troopers en passant par Total Recall ou aujourd’hui Benedetta en lien constant avec ledit film disponible chez Carlotta dans une superbe édition DVD, Blu-Ray et édition collector DigiBook de 160 pages rédigées par Olivier Père, il n’y a qu’un pas facile à franchir. La conquête par la force, la malice des actions, l’utilisation des corps comme armes et chairs à canon, l’élaboration du monde ancestral et moderne par Verhoeven est identique et barbare. Une vision extrémiste ayant fait couler beaucoup d’encre, mais finalement tellement juste.

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