Enter The Void : Gaspar et le voyage astral

Après une semaine qui mettait à l’honneur le cinéma de Francis Ford Coppola, Shadowz poursuit son envie de braquer les projecteurs sur un cinéaste en particulier. Avec la sortie de son dernier film dans nos salles ce mercredi, Vortex, il était inéluctable que la plate-forme s’arrête sur Gaspar Noé. Shadowz nous propose deux films qui ne sont pas forcément parmi les plus cités de l’auteur et qui peuvent se voir en double-programme. La mise en bouche sous l’égide de Lux Aeterna permettra de vous éveillez les sens juste avant d’attaquer l’énorme plat de résistance avec Enter The Void. Probablement l’un des plus beaux films de son auteur (tant techniquement qu’émotionnellement), il n’en demeure pas moins l’un des plus exigeants à aborder. Oubliez toutes les expériences sensorielles que vous pensiez connaître jusqu’alors, Enter The Void risque de vous marquer pour des années. Qui dit film exigent, dit mise en condition. On ne peut que vous conseiller de vous créer un cocon hermétique afin de vous plonger corps et âme au sein du voyage astral proposé par Enter The Void.

Oscar et sa sœur Linda habitent depuis peu à Tokyo. Oscar survit de petits deals de drogue alors que Linda est strip-teaseuse dans une boîte de nuit. Un soir, dénoncé par un de ses clients et amis, Oscar est abattu par la police dans les toilettes d’un bar. Alors que son âme se détache de son corps, Oscar se souvient de sa promesse jadis faite à sa sœur de ne jamais l’abandonner. Commence alors une longue errance de l’esprit à travers les rues de Tokyo.

Troisième long métrage de Gaspar Noé sorti 8 ans après le choc qu’était Irréversible, Enter The Void était attendu au tournant au moment de sa sortie au cinéma en 2010. N’ayant pas rencontré son public ni le succès critique, il est le tournant de la carrière de Gaspar Noé, le dernier (pour le moment et à nos yeux) film profondément honnête de son réalisateur. Avec Enter The Void, Noé a été taxé d’imposteur. Les critiques, loin d’être tendres avec lui, ont jugé son film de « profonde vacuité philosophique à la nullité dramaturgique probante » tout en n’omettant pas d’ajouter un « mélange d’invention débordante au sein d’une volonté potache de provocation puérile ». Un sacré uppercut envoyé à la face de son réalisateur déjà habitué à ce genre de critiques. Seulement, à force de trop taper sur l’ambulance, Noé cédera à la provocation facile lors de ses films suivants. Particulièrement avec Climax dans lequel il n’hésite pas à s’auto-citer pour mieux nous vomir sa haine des bien-pensances gratuitement et sans véritable réflexion sur son sujet en dépit d’une grammaire visuelle toujours aussi probante. Fort heureusement, Lux Aerterna nous montre une facette plus assagie de son auteur dans le sens où il utilise sa haine pour nous proposer une voyage fou et à la hauteur de ses ambitions. Une promesse qui ne laisse espérer qu’un retour en puissance pour Vortex actuellement dans nos salles. Si nous nous rallions sans conteste du côté des critiques scandant à la provocation sans profondeur de Love et Climax, il n’en est absolument pas le cas pour Enter The Void. En effet, pour ce film, Gaspar Noé délaisse toute notion de parole et de dialogue pour entièrement construire son expérience sur du « show, don’t tell ». Il mesure chaque ligne de texte pour n’en garder que la substantifique moelle. Nul besoin de bavarder puisque, par définition, une âme ère. A partir de cette simple réflexion, que fait-on ?

Enter The Void éblouit absolument tous les sens. Dès son générique, agressif et coloré, le film nous emmène vers un univers où la désolation côtoie le sublime. Gaspar Noé fait cohabiter deux sentiments extrêmes pour voguer au gré des souvenirs de son héros. Durant son errance, l’âme d’Oscar va revivre les instants les plus marquants de sa vie. Noé délaisse les notions de fatalité et de nihilisme qui étaient présents dans Seul Contre Tous et Irréversible pour nous rapprocher vers une recherche profonde du sentiment amoureux. Il décortique la notion d’amour fraternel et s’interroge sur ce qui peut lier deux êtres au-delà des liens du sang. Dans quelle mesure un être humain se lie à un autre ? La complexité des rapports humains est un sujet si vaste que Noé prend le temps d’analyser sur près de 3h (dans sa version longue). Il y apporte une réponse ouverte puisqu’il se focalise avant tout sur la quête. Très inspiré par le Bardo Thödol (le livre tibétain des morts) qui parle du voyage de l’esprit entre la mort et la réincarnation, Noé prend le parti de rendre son voyage astral aussi lumineux que dysfonctionnel. Durant cette étape, l’âme est censée faire le point sur les erreurs de sa vie terrestre, revivre les étapes douloureuses et se fixer les objectifs inhérents à sa réincarnation. Afin de pouvoir revêtir une nouvelle enveloppe terrestre, l’âme doit accomplir ses demandes, les inscrire dans son livre de vie et attendre l’approbation des puissances supérieures pour revenir sur Terre. Bien évidemment, Noé n’ira pas jusqu’à entrer dans ces détails théologiques dans le but de recentrer sa finalité du récit sur l’acte d’amour ultime. Si la fin possède des relents de provocations, Noé se nourrit de l’essence de l’amour à sa racine la plus véritable. Enter The Void se conclue très organiquement et de manière résolument orgasmique. Il y fait se confronter la douleur péjorative en début de récit (le meurtre d’Oscar) avec la douleur philosophique de l’orgasme (sa réincarnation) en offrant l’ultime clé à la compréhension de son film : tout n’est qu’une question d’abandon. Là où les détracteurs n’y voient qu’une philosophie de pacotille, nous y voyons une proposition bouleversante, une belle et grande histoire d’amour dans tout ce qu’elle peut avoir de merveilleux, de déchirant et de véritable.

Enter The Void est, à ce jour, le dernier grand film de Gaspar Noé (nous n’avons toujours pas vu Vortex si besoin est de vous le rappeler). La virtuosité de sa mise en scène atteint des sommets. Nous ne nous y sommes pas penchés intentionnellement tant nous tenons à vous laisser le soin de vous faire attraper par cette immense rouleau-compresseur. Avis aux non-initiés, vous n’êtes clairement pas prêts ! Shadowz récupère ici un film radical dans sa proposition, déchirant dans ses symboliques, puissant dans l’énergie qu’il déploie et indubitablement complet. Gaspar Noé joue merveilleusement avec toute la grammaire cinématographique et nous convoque à un voyage aussi tendu que rassurant. Une promesse amplement tenue et qui vous marquera de longues années après l’avoir visionné.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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