L’extravagant Mr. Deeds : La vraie richesse est discrète

De New York-Miami à La Vie Est Belle, en passant par Les Horizons Perdus ou encore Arsenic et Vieilles Dentelles, Frank Capra compte parmi les réalisateurs les plus célèbres de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Quiconque s’intéresse un minimum à l’histoire du cinéma croise un jour ou l’autre la route de ce cinéaste. Parmi ses films les plus notables, il y a sa trilogie thématique regroupant Monsieur Smith au Sénat, L’homme de la Rue et, bien évidemment, notre film du jour, L’extravagant Mr. Deeds. Par ces trois films, Capra cultive ses thèmes de prédilection parmi lesquels la défense des plus démunis face aux puissants qui demeure son credo le plus fort. Succès public et critique à sa sortie en 1936, L’extravagant Mr. Deeds permettra à Frank Capra d’obtenir son deuxième Oscar du meilleur réalisateur (il en totalisera trois au cours de sa carrière) et d’offrir à Gary Cooper un rôle taillé sur mesure. Le film ressort chez Wild Side dans une copie blu-ray restaurée en 4K d’un superbe acabit.

© 1936 renouvelé 1963 Columbia Pictures Industries, Inc. Tous droits réservés.

Martin W. Semple s’est tué dans un accident de voiture, léguant son immense fortune à un neveu qu’il n’a jamais vu. La haute société new-yorkaise est en émoi. Qui est donc ce Longfellow Deeds, ce jeune homme naïf, un tantinet loufoque, qui joue du tuba et écrit des vers pour la plus grande joie des habitants de sa bourgade, Mandrake Falls ? Comment ce célibataire ultra-convoité, sollicité par toutes sortes d’aigrefins, va-t-il s’acclimater à la ville qui ne dort jamais ? Les reporters traquent le scoop, mais la malicieuse Babe Bennett a choisi la meilleure tactique pour approcher Deeds.

Deeds est un conte humaniste comme seul Capra en avait le secret. De prime abord, il s’agit d’une comédie un peu inoffensive sur un homme simple qui se retrouve à la tête d’un empire financier. Dans les faits, Deeds se transforme en fable anticapitaliste et en combat en faveur des citoyens les plus pauvres. La force du récit réside en sa capacité à prendre les problèmes de manière frontale et de ne jamais faire de sous-entendus. Par le biais de son héros, L’extravagant Mr. Deeds rend hommage aux hommes de l’ombre, ceux qui agissent pour aider leur prochain. Deeds est la personnification de la bonté, avec ses forces et ses faiblesses. Le but de Capra n’est pas d’y faire s’affronter deux camps aux opinions extrêmes et bien tranchées, juste de constater qu’un coup de pouce du destin peut permettre d’aider plus d’une personne. Deeds a beau ne pas être attiré par l’argent et demeurer l’homme le plus altruiste du monde, il possède un penchant pour l’alcool assez fort et n’est pas le dernier pour régler ses soucis de manière directe avec le poing fermement serré. Pour autant, impossible de ne pas tomber en amour pour l’extrême gentillesse de Deeds. D’abord parce qu’il est gorgé du vécu de Capra (immigré italien qui a appris son métier sur le tas) et surtout parce qu’il n’encourage en aucun cas la paresse. Deeds décide de faire don de sa fortune pour acheter des terres afin que les fermiers dans le besoin puissent les cultiver. En aucun cas il ne rend le quotidien des opprimés plus facile financièrement, il ne se contente que de forcer le destin afin qu’ils puissent aspirer à une vie plus descente. Voilà pourquoi le film de Capra se vit comme un chef d’œuvre humaniste, il met en valeur l’entraide et la camaraderie.

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Pour incarner son héros, Capra s’adjoint les services de Gary Cooper qui y trouve l’un de ses plus beaux rôles. Cooper transpire la bonté, il est véritablement beau non seulement par son physique radieux, mais aussi par la forme d’innocence qu’il dégage. Loin d’être aussi naïf que ce que les institutions pensent de lui, il parvient à garder ce regard malicieux qui fait de lui un excellent négociateur. Bien conscient qu’il se retrouve à la tête d’une fortune qu’il ne veut pas, il ne compte pas la laisser entre de mauvaises mains. Deeds est un homme qui n’aspire qu’à rencontrer une jeune femme en détresse dans le but de pouvoir lui démontrer tout l’amour qu’il renferme en lui. Peu importe les grosses fortunes, Deeds est un homme simple qui désire vivre une vie simple. En ce sens, Gary Cooper l’incarne merveilleusement tant le regard qu’il porte à Jean Arthur est troublant de vérité. On le croit réellement sous le charme de la belle blonde, le duo fait des merveilles. Nul besoin de verser dans le pathos, Capra compte sur la sincérité des sentiments qui anime les deux personnages pour nous faire succomber, et cela fonctionne du feu de Dieu. Le film a fait l’objet d’un remake en 2002, Les Aventures de Mr. Deeds, avec dans le rôle-titre Adam Sandler. Il est parfaitement taillé pour l’humour de Sandler et reprend toutes les grandes lignes du film de Capra. Il devrait ravir même les plus réfractaires à l’acteur et surtout pour l’immense galerie de comédiens qui gravite autour de lui (Winona Ryder, John Turturro, Steve Buscemi). D’aucuns diront que s’il reprend les mêmes thèmes que le film original, à quoi bon conseiller la copie là où l’original fait toujours le job ? Tout simplement pour se rendre compte de l’aspect novateur, universel et intemporel du film de Capra. La comparaison est un exercice plutôt amusant dans ce cas précis puisque le remake se focalise énormément sur les frasques de Deeds qui ne sont qu’éludées chez Capra. D’un côté nous avons un film léger, indubitablement beau et bouleversant et de l’autre nous avons une comédie familiale qui passe son discours humaniste au second plan dans le but de parler plus facilement aux têtes les plus jeunes. Deux approches sensiblement différentes pour une histoire qui ne manque pas de panache et qui résonne encore promptement au regard de notre société actuelle.

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L’extravagant Mr. Deeds est un chef d’œuvre qui n’a certainement pas volé son Oscar du meilleur réalisateur en 1937. Gary Cooper est d’une beauté affolante tant sa simplicité englobe l’image là où les seconds rôles ne déméritent pas face au gigantisme de ce dernier. Un cinéaste de la trempe de Frank Capra, capable d’émerveiller avec autant de facilité, il n’y en a décidément plus beaucoup de nos jours. Fort heureusement qu’il existe des éditeurs comme Wild Side pour nous rappeler à quel point le cinéma peut être à la fois si simple et si puissant.

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