Objectif 500 millions : De l’art d’atteindre le 7ème cercle…

Commençons par un aveu de faiblesse : celui de reconnaître en notre for intérieur cinéphile une ignorance certaine concernant le Cinéma à priori passionnant de Pierre Schoendoerffer, auteur-réalisateur français responsable d’une douzaine de longs métrages de fiction sur près de cinquante années de Septième Art. Si nous avions d’ores et déjà entendu parler à maintes reprises de quelques films de son Oeuvre (La 317ème Section, Le Crabe-Tambour, Diên Biên Phú, pour les plus célèbres d’entre eux, ndlr) nous n’avons toutefois pas encore eu l’occasion de les découvrir en bonne et due forme, du moins pour l’auteur de ces lignes pratiquement vierge de tout visionnage des fables pré-citées… Scénariste et metteur en scène de renom peu ou prou admiré d’une quantité non négligeable de spectateurs en tous genres (historiens, anthropologues et même – et surtout – simples cinéphiles….) Schoendoerffer s’est largement intéressé aux questionnements post-coloniaux de son pays tout en se frayant un chemin dans le cinéma de pur genre : ce fut le cas avec le bien-nommé Objectif 500 millions, sixième film dudit réalisateur au titre augurant une série B honnête et sympathique mais finalement moins populaire que véritablement sérieuse voire tragique in fine. Quelle meilleure occasion que la ressortie de cette rareté en combo Blu-Ray et DVD dans la collection Make My Day ! présentée par Jean-Baptiste Thoret en l’état d’un 45ème numéro pour découvrir (enfin !) l’univers d’un cinéaste visiblement surprenant, capable de travailler les mêmes thématiques avec régularité d’un film à l’autre tout en se réinventant de projet en projet…

Sec, froid et mécaniquement bien huilé Objectif 500 millions s’ouvre sur le retour à domicile de son protagoniste : le capitaine Richau (Bruno Cremer, inoubliable) fraîchement débarqué de prison suite à sa participation au putsch d’Alger à la fin du conflit franco-algérien ; de retour à Paris l’ancien membre de l’OAS n’a ni travail ni réelles ressources, semblant être un véritable apatride en son propre pays, homme dégoûté par ce foutu « polygone étriqué » incapable de lui offrir de nouvelles perspectives familiales et professionnelles, baroudeur nostalgique de « la jungle et de la mousson » et donc potentiel acteur de la Guerre d’Indochine…

L’une des premières scènes du film nous présente du reste Richau dans l’exiguïté d’une chambre d’hôtel, toisant son reflet dans le miroir de la salle de bain, revolver à la main. Seul, l’oeil creux et la bouche cousue Richau se tient en joue face à son double fantoche, appuyant le canon de l’arme contre sa gorge, fixant le vide de son regard au diapason d’une obscurité scandée par la lumière des néons de l’édifice… Impossible ici de ne pas voir une source d’inspiration pour le personnage de Travis Bickle du Taxi Driver de Martin Scorsese qui sortira une dizaine d’années plus tard que le film de Pierre Schoendoerffer, tant Richau tient du vétéran déchu et un rien déséquilibré cherchant tant bien que mal à se dépêtrer d’une désoeuvrement social total et irréversible… S’ensuivra la rencontre de cet anti-héros avec une cover-girl aux intentions clairement lucratives rendant gloire au titre du film (Objectif 500 millions narre rien de moins que la préparation d’un braquage par trois personnages, hold-up dont la principale instigatrice s’avère être Yo, femme fatale joliment interprétée par Marisa Mell), rencontre inopinée tenant lieu dans les grands espaces de l’aéroport d’Orly.

Le film ménage superbement bien son mystère (Bruno Cremer, impeccable de froideur et de charisme, reste en permanence ambiguë dans ces agissements), arborant d’un bout à l’autre une esthétique volontairement rudimentaire, au gré d’un Noir et Blanc fauché évoquant les grandes heures de la Nouvelle Vague (le film, produit par Georges de Beauregard, nous laisse d’ailleurs entrevoir l’affiche de Pierrot le Fou débarrassée – de fait – de ses couleurs…). A l’image de ses enjeux Objectif 500 millions est un film à la fois simple et conséquent, amère intrigue de réappropriation identitaire et de règlement de comptes, sorte de « film policier sans voyous ni policiers » (selon les propres termes de Pierre Schoendoerffer, ndlr).

On pense principalement au cinéma de Jean-Pierre Melville au vu des situations et de la morale proférée par Richau lors d’une séquence du film dans laquelle le personnage fait référence à une ancienne légende asiatique, légende relatant l’évolution d’une figure humaine devant franchir les étapes de la bravoure en dépassant sept cercles plus ou moins vertueux… Contemporain du réalisateur du Samouraï et du Cercle Rouge Pierre Schoenderffer semble bel et bien avoir inspiré le cinéaste pour sa scène d’introduction du mesestimé Un Flic tourné au début des années 70 au regard des séquences tournées dans la station balnéaire de Lacanau-Océan dans la seconde partie du métrage. Les trente dernières minutes quant à elles se concentrent essentiellement sur le braquage sus-cité, parachevant honorablement un film réalisé sous le signe des destins croisés, et re-croisés (on apprend lors d’une scène que le troisième larron interprété par Jean-Claude Rolland fut un ancien camarade de Richau durant la Guerre d’Algérie). De belle facture et pour le moins intrigant Objectif 500 millions est un objet à découvrir d’urgence, aussi rare que terriblement désabusé…

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