Jess Franco : Abondance sexuelle comme entité cinématographique

Figurant parmi les auteurs les plus abondamment cités en matière de cinéma bis, Jess Franco était un artisan si prolifique qu’une seule vie ne suffirait pas pour mettre la main sur l’entièreté de son œuvre. Pape espagnol du cinéma érotico-horrifique à la tête d’une filmographie grande de 185 films (officiellement) s’étendant de 1957 à 2012 ; auteur ayant nourri bon nombre de fantasmes cinéphiles par l’intermédiaire des critiques qui alimentaient les presses spécialisées durant notre jeunesse, relégué en seconde partie de soirée sur les chaînes câblées et satellites dédiées au genre (doux souvenirs des heures perdues où nous avons découvert Jean Rollin et consorts), Jess Franco se redécouvre depuis quelques temps via l’éditeur Artus Films qui a à cœur de raviver les souvenirs de nos aînés et d’enfin permettre aux plus jeunes de côtoyer son cinéma. Pour tout vous avouer, Jess Franco était similaire à une montagne que nous craignions d’oser gravir. Comment se lancer au cœur d’une filmographie aussi dense ? Quel film serait le plus représentatif de son cinéma ? Quel film peut être le porte-étendard ultime, celui qui nous ferait dire : « si tu aimes celui-là, tu aimeras les autres » ? Tant de questions auxquelles les spécialistes de l’auteur ont du mal à répondre eux-mêmes. De fait, quand Artus Films décide d’ajouter à son catalogue trois nouvelles œuvres de Jess Franco, nous avons enfin décidé de prendre notre courage à deux mains et de tenter l’expérience. Nous avons décidé de regrouper nos avis sur les trois films parus récemment chez l’éditeur car nous ne nous estimions pas à même de réussir à décortiquer tout ce qu’il y a à analyser (si tant est qu’il y eu réellement de matière à se mettre sous la dent, mais on y reviendra ci-dessous). Nos propos n’engagent que notre humble avis et ne reflètent en aucun cas une vision arrêtée de l’œuvre de Jess Franco. Nous serions bien mal avisés de réduire son cinéma sur la connaissance de trois films uniquement. D’autant que l’avis aiguillé de Stéphane Du Mesnildot dans les bonus des éditions nous aura permis de cerner un poil le personnage. Et de ses propres mots, il est impossible de connaître parfaitement Jess Franco si on n’a pas mangé une bonne grosse partie de sa filmographie. Mais nous nous sommes risqués à essayer d’y mettre notre grain de sel, ne serait-ce que pour rendre justice au sublime travail d’Artus Films qui propose des remaster 2K d’une propreté inouïe. Pour sûr que personne n’aurait jamais imaginé tomber sur des copies de Jess Franco aussi parfaites.

Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs (1980)

Les trois films concernés par notre petit dossier du jour sont donc : Les Nuits Brûlantes de Linda, Shining Sex et Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs. Les Nuits Brûlantes de Linda raconte l’histoire de Marie-France, une demandeuse d’emploi qui trouve un job de nurse au sein d’une famille française et puritaine résidant en Grèce, les Radek. Le père a assassiné autrefois son épouse adultère et vit dans le remord. A ses côtés, sa fille Linda, paralytique, et Olivia, sa nièce nymphomane. Et enfin, Abdul, l’homme à tout faire et simple d’esprit. Les frustrations de la famille vont être chamboulées par l’arrivée de Marie-France.

Shining Sex possède un pitch beaucoup plus racoleur et qui va directement à l’essentiel. Après un numéro, la jeune et jolie strip-teaseuse Cynthia est invitée à finir la soirée par un couple libertin. La femme, Alpha, profite de l’ivresse de Cynthia pour lui enduire le sexe d’une substance brillante. A partir de ce moment, cette dernière est littéralement contrôlée par Alpha qui lui ordonne d’exécuter ses moindres désirs.

Pour finir, un peu plus de légèreté après une grosse abondance d’érotisme pour une comédie espiègle (qui n’oublie pas de rappeler certains pendants horrifiques pour autant). Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs devrait interpeller les fans de films d’espionnage. Une traite de blanches est organisée pour de riches clients. Le sénateur Connoly propose une mission à Cécile et Brigitte, deux prostituées emprisonnées, en l’échange de leur libération. Sous de faux noms, elles se font engager dans un cabaret pour débuter leurs investigations.

Les Nuits Brûlantes de Linda (1975)

Trois films qui dégagent des thématiques proches par l’intermédiaire d’une actrice récurrente chez Franco, sa muse, objet de désir et de fantasme qu’il filmera jusqu’à sa mort : Lina Romay. Tout d’abord, il est à noter la prédominance du sexe dans ces trois films. Le sexe comme moyen de désir et de plaisir, mais également comme instrument de mort et de torture. Les deux facettes d’une même pièce qui sont indubitablement indissociables. Bien évidemment, Franco, dans un ésotérisme presque vomitif, cherche à remuer son spectateur jusqu’à épuisement. Ce qui revient régulièrement est sa propension à vouloir étirer le temps jusqu’à étouffement. D’aucuns diront qu’il s’adonne à des remplissages afin de parvenir à une durée de film correcte. Ils n’auraient pas totalement tort tant la contemplation est un exercice de style qui ne parle pas à tout le monde, d’autant que certaines séquences ne méritent pas tant d’acharnement dans la longueur. Pour Shining Sex notamment. Outre le fait d’immortaliser la beauté de sa muse, l’abus de gros plans sur son vagin fraîchement épilé n’apporte rien d’essentiel si ce n’est de vouloir personnifier la perte de l’innocence de son héroïne qui va subir moult viols afin de voir transformer son sexe en arme destructrice. Pour autant l’essai n’est pas vain en début de métrage puisque Franco sait parfaitement utiliser la technique du « show don’t tell ». Dans les faits, il s’agit de plusieurs kilomètres de pellicule inutilement utilisées par la suite dans le récit.

Shining Sex (1976)

Le sexe comme arme mortelle revient également dans Les Nuits Brûlantes de Linda. Titre aussi évocateur que mensonger puisque Linda demeure un personnage bafoué et emprisonné dans sa paralysie. Jeune femme muette qui semble avoir subi un gros traumatisme, ses nuits ne sont aucunement torrides comme le suggère son titre français. Et son titre original, But Who Raped Linda ? (Mais Qui a Violé Linda ?) n’apporte guère plus de réponses. Jamais il ne sera question d’un quelconque viol. S’il est possible de trouver les rares indices permettant de suggérer cela, le film se centre plutôt sur la nymphomanie d’Olivia (encore un rôle tendancieux qu’il attribue à Lina Romay) qui tente d’exorciser le souvenir de l’assassinat de sa tante. Tel un Visitor Q avant l’heure, la gouvernante va remettre de l’ordre dans cette famille où l’inceste n’est jamais bien loin, avec des méthodes particulières. Malheureusement, plus le film se déroule, plus il devient confus et insensé au point que Franco le conclura de la pire des manières : tout n’était qu’un rêve. Beaucoup trop ésotérique pour réussir à en extirper la substantifique moelle pour le néophyte que nous sommes, nous concéderons à mieux réussir à capter le sexe comme arme pour Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs. Ici tout est très premier degré et ne fait pas de fioritures : le sexe devient une monnaie d’échange et objet de tous les chantages. Entre les ravisseurs qui kidnappent des actrices de charme dans le but de redorer la flamme au sein de leur couple, les hippies qui s’adonnent à l’amour libre dans le but de construire leurs liens ou encore le sexe pour ramener dans le droit chemin un jeune homme gay (sérieusement !?). Une fois encore, Jess Franco règle tout par le biais du sexe.

Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs (1980)

Au regard de notre société, il est difficile de définir ces trois films autrement que par un male gaze infâme. Une fois encore, notre avis diverge de la critique que lui porte son spécialiste, Stéphane Du Mesnildot (auteur du livre Jess Franco : Énergies du Fantasme), qui assure que ces films sont invariablement féministes. Or, difficile de définir une quelconque idée féministe tant ces trois films transpirent l’envie et l’attirance toxiques. Ce n’est pas parce que Franco construit ses personnages masculins comme de vraies bêtes de foire que cela suffit pour appuyer de quelconques arguments pro-féministes. Certes, les hommes sont violeurs, menteurs et manipulateurs…mais il en est de même pour la plupart des antagonistes féminines qu’il dépeint. Ses héroïnes ne sont aucunement féministes dans le sens où elles deviennent de la viande qu’on étale et exhibe de manière exacerbée. Ces films sont pensés pour être projetés afin de directement s’adresser aux mâles bêta et en rut croyant que voir une femme les jambes écartées en abondance font d’eux des étalons en puissance. Le fait de présenter des hommes faibles à l’écran ne fait que renforcer ce sentiment de puissance chez le spectateur homme qui se sent fervent séducteur à défaut de réaliser qu’il n’est qu’un fieffé connard. Ce n’est pas du féminisme puisqu’il ne s’agit, ni plus, ni moins, que le regard d’un homme délibérément obsédé par l’idée de rendre objet de tentation ses actrices, et particulièrement Lina Romay. Les femmes n’ont aucun libre-arbitre dans ces trois films, elles sont victimes de ce que l’homme pense qu’elles doivent être. Un tel regard serait vivement inacceptable aujourd’hui à l’heure où des millions de femmes militent durement pour une déconstruction des pensées en bonne et due forme. Et malheureusement c’est bel et bien le seul discours que nous avons réussi à extirper de ces films. Ils portent un regard extrêmement phallocentré qui était très pénible à vivre nous concernant.

Shining Sex (1976)

Jess Franco demeure encore un mystère à nos yeux. Non contents d’avoir pu approcher une infime partie de son travail, nous ne nous laisserons plus reprendre. Les regards posés sur les femmes et la condition féminine (au travers de ces trois œuvres) sont vomitifs à souhait et à des lieux de notre idée du désir, de l’amour et du féminisme. L’art, élément subjectif par extension, convoque indéniablement le débat. Notre regard sur ces œuvres de Franco iront forcément à l’encontre de ses défenseurs. Nous n’avons pas la science infuse ni la prétention de vous dire ce qu’il faut impérativement voir et rejeter. Et si d’aventure vous seriez tentés, retenez une fois encore que Les Nuits Brûlantes de Linda, Shining Sex et Deux Espionnes Avec Un Petit Slip à Fleurs sont disponibles dans des copies Blu-ray absolument sublimes chez Artus Films. Nous concernant, l’érotisme et la contemplation d’un Jean Rollin continueront de nous passionner, notamment pour les nuances qu’il parvient à apporter au fil de sa carrière, là où Jess Franco n’aura pas réussi à nous subjuguer.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*