Mario Bava : L’étroit visage de la peur…

Revenons le temps d’un article sur le cinéma séminal de l’émérite Mario Bava, réalisateur et faiseur d’images hors-paire ayant fait ses premières armes en tant que directeur de la photographie à partir de la fin des années 30 (notamment chez Roberto Rossellini puis par la suite chez Dino Risi, entre autres…) et qui assuma du reste ce poste sur bon nombre de ses propres réalisations parmi lesquelles nous retiendrons le fantasmagorique Le Masque du Démon en 1960 mais aussi La fille qui en savait trop trois ans plus tard, premier giallo authentique de l’Histoire du Cinéma doublé d’un whodunnit tour à tour efficace et surprenant. C’est à l’occasion de la ressortie des deux films sus-cités en Digibook Blu-ray et DVD aux éditions Sidonis Calysta ce mardi 22 mars 2022 que nous nous sommes replongés dans une parcelle de l’Oeuvre pour le moins influente et prolifique d’un esthète cinématographique au savoir-faire difficilement discutable, artisan soigneux et précis convoquant tout un imaginaire fantastique à des fins un rien maniéristes, aux confins de l’abstraction visuelle…

Le Masque du Démon (1960)

Mario Bava tourne donc Le Masque du Démon au tout début des années 60, classique histoire de possession et de sorcellerie à laquelle le cinéaste italien appose une atmosphère mêlée d’onirisme et d’épouvante. Strict récit de la destinée surnaturelle d’une femme hérétique du XVIIème siècle suppliciée puis laissée pour morte à l’orée dudit conte Le Masque du Démon est la célèbre adaptation cinématographique de la nouvelle Vij écrite par Gogol en 1835 (et que les réalisateurs soviétiques Konstantin Ershov et Georgi Kropachyov adapteront à leur tour en 1967 dans leur film éponyme, ndlr). Visuellement puissant, aride et même parfois abrupt voire rébarbatif dans sa portée symbolique Le Masque du Démon décline ses motifs au gré d’un Noir et Blanc particulièrement contrasté et – de fait – peu nuancé dans sa gamme achromatique… En résulte un objet sec, conforme à l’économie des moyens dont disposait Mario Bava lors du tournage : fauché sans pour autant s’avérer mal dégrossi, abstrait au point de sembler un tantinet désincarné le film a quelque chose tenant de la fable intemporelle et archaïque dans le même mouvement de minutie pragmatique, hélas trop épuré pour véritablement fasciner quelques soixante années plus tard.

Le Masque du Démon (1960)

En un mot comme en cent Le Masque du Démon fait malheureusement partie de ces films condamnés à n’appartenir qu’à leur époque, fable d’épouvante finalement décevante si nous l’appréhendons avec un regard contemporain inévitablement critique et peu indulgent… Si la forme dudit métrage tient de l’artisanat pur et dur (rien ne semble, pour ainsi dire, avoir été laissé au hasard ou aux vicissitudes du tournage au regard des images galvanisantes proposées par Mario Bava…) le scénario a bien du mal à nous captiver sur la longueur, sans doutes trop linéaire et convenu pour nous surprendre in fine… Ce ne sera heureusement pas le cas de La fille qui en savait trop que le réalisateur italien tournera par la suite en 1963, objet passionnant tout droit hérité du cinéma de Sir Alfred Hitchcock et oeuvre fondatrice d’un sous-genre proprement racé et codifié : le giallo. Sur près de 90 minutes de pure mise en scène La fille qui en savait trop raconte le cauchemar éveillé de Nora Davis, jeune femme new-yorkaise venue rendre visite à sa tante dans la capitale romaine puis indirectement témoin du meurtre d’une autre femme à l’arme blanche lors d’une promenade nocturne sur la Piazza Di Spagna ; férue de romans policier et douée d’une imagination débordante Nora partira par la suite à la recherche du mystérieux assassin, découvrant à cette occasion qu’elle représente l’une de ses potentielles futures victimes…

La fille qui en savait trop (1963)

La fille qui en savait trop sidère par sa modernité et sa grammaire pétrie d’innovations en tous genres, là où Le Masque du Démon demeurait terriblement daté car trop prisonnier de ses effets et d’un imaginaire ancestral, indubitablement chiadé certes, mais en-deçà d’un récit sans réelles aspérités. Ce giallo matriciel arbore sans conteste un rythme, un suspense et une maîtrise n’ayant rien à envier aux thrillers hitchcockiens de la même époque, mettant le regard et la subjectivité de son héroïne au centre de l’action et de notre attention. Habilement narratif le métrage déplie lui aussi ses motifs avec un soin méticuleux au gré d’un Noir et Blanc somptueux, annonçant tout un pan de la production giallesque des années à venir. Ainsi la séquence-clef d’homicide de la Piazza Di Spagna n’est pas sans évoquer la future scène nocturne des Frissons de l’Angoisse de Dario Argento siégeant au coeur de l’intrigue, ou encore certaines réalisations de Brian De Palma (la dimension névrotique du personnage de Nora annonce la paranoïa de Jennifer Salt dans Sisters, la reconstitution du meurtre par cette même Nora renvoie à posteriori au ludisme fétichiste de Obsession tourné en 1975, etc…).

Au sortir de la re-découverte de ces deux films-cultes demeure le sentiment d’un artisan talentueux et clairement inspiré, capable d’insuffler une réelle puissance visuelle à des projets à la fois très diversifiés et plastiquement cohérents. Libre à vous de voir ou de revoir deux exemples du cinéma de Mario Bava en la forme d’un combo filmique solidement étayé par Sidonis Calysta, disponible dès à présent…

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