
Interpeler, interroger, capter la (bonne) conscience du spectateur est probablement l’une des raisons d’être d’un Art, quel qu’il soit. Depuis pratiquement ses débuts le cinéma fut l’un des vecteurs créatifs susceptibles de transmettre une idéologie politique, une cause ou un idéal, ou plus simplement un message lié à son Histoire, en tout temps et en tout lieu. Qu’il s’agisse du cinéma de propagande soviétique poussé à son paroxysme par S. M. Eisenstein au coeur des années 1920, des documentaires produits par Joseph Goebbels et réalisés par Leni Riefenstahl sous le IIIème Reich ou encore des très nombreuses réalisations (re)mettant en question les agissements de nos ancêtres toutes nations confondues (de Nuit et Brouillard à La liste de Schindler en passant par le très récent J’accuse de Roman Polanski, parmi beaucoup d’autres…) le Septième Art fut donc l’un des médias les plus efficaces capables d’entretenir la Mémoire des erreurs passées, jouant tantôt sur la culpabilisation, tantôt sur une simple prise de conscience…

C’est sur la Mémoire de la France (et plus précisément de la Quatrième République Française présidée par René Coty entre 1946 et 1958) que s’articule, de manière finalement plutôt limpide et clairement mélodramatique, le second long métrage de Hélier Cisterne : le poignant et traditionnel De nos frères blessés, drame historique retraçant le parcours tragique de Fernand Iveton et de sa femme Hélène dans une Algérie tiraillée entre les exactions de l’Armée française et les revendications du FLN en l’année charnière 1956 (soit à l’aune de la célèbre bataille d’Alger, évènement historique duquel l’illustre Gillo Pontecorvo tira un magnifique film une dizaine d’années plus tard, ndlr).

D’assez courte durée et plutôt équilibré dans sa construction ledit métrage brosse le portrait héroïque mais ambigu d’un activiste idéaliste d’origine française se réclamant de nationalité algérienne, mettant un point d’honneur à conserver sa loyauté à l’égard de ses frères nord-africains ; se sentant injurié jusque dans sa chair dès lors qu’un algérien se voit pris sous le joug de l’oppresseur français, rêvant d’un monde meilleur et désireux de rétablir la justice coûte que coûte Fernand ira jusqu’à sacrifier sa famille au profit d’un cause qu’il revendiquera dès les premières minutes du film : dans les vestiaires désaffectés d’une compagnie de gaz qu’il a stratégiquement choisi à des fins inoffensives (lieu débarrassé de tout public, absence de produits inflammables à disposition, etc…) Fernand annonce clairement son camp à l’orée du récit en faisant exploser une bombe dans les locaux vidés de toute présence humaine, moins par volonté d’acte « terroriste » que par pur élan révolutionnaire… En résultera son arrestation rapidement présentée par le cinéaste dès le premier quart d’heure, ainsi qu’un procès dont nous vous épargnerons les tenants et aboutissants pour mieux vous conseiller le visionnage dudit drame.
Si De nos frères blessés n’est pas exempt de quelques défauts timidement dommageables (on retient surtout une forme cinématographique très, trop standardisée, faisant l’effet d’un produit fabriqué en dépit de l’effort de reconstitution propre à une direction artistique n’arrivant pas à la cheville du moins bon des films de Bertrand Tavernier) il parvient à captiver sur la longueur, hautement rehaussé par la présence peu ordinaire de la flamboyante Vicky Krieps incarnant ici la femme de Fernand, aux côtés d’un Vincent Lacoste plutôt crédible dans le rôle principal. Sans jamais dépasser son sujet le film de Hélier Cisterne assume entièrement sa portée critique à l’encontre des hauts fonctionnaires de la République Française de jadis (c’est spécifiquement François Mitterrand, garde des Sceaux à l’époque où se sont déroulés les faits, qui se voit placé sur la sellette par le réalisateur), tout en proposant une agréable incursion dans le mélodrame familial somme toute plutôt rafraîchissante.

Rien ne dépasse certes dans ce drame où le factuel l’emporte considérablement sur l’artistique, et l’on se déplaît (un peu présomptueusement, certes) à subodorer qu’il aura déjà vieilli de vingt ans au regard des productions à venir… On peut a contrario voir dans De nos frères blessés un morceau d’Histoire joliment rétro sublimant son couple d’acteurs à l’alchimie certaine (si Vicky Krieps est impeccable de toutes les séquences qu’elle habite Vincent Lacoste se trouve davantage à l’aise lorsqu’il joue les godelureaux sentimentaux que lorsqu’il s’efforce d’incarner une rage un rien empruntée, ou du moins assez poussive…), film dit d’utilité publique visible dans nos salles obscures à partir de ce mercredi 23 mars. Une jolie petite réussite, en demi-teintes mais pleinement efficace.
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