Seule la terre est éternelle : Leçons de vie d’un vieux briscard

Ceux qui sont familiers du travail de François Busnel et notamment de sa formidable revue America éditée pendant les quatre ans qu’a duré le mandat de Donald Trump connaissent bien son admiration pour le travail de Jim Harrison, fabuleux romancier et poète dont le travail engagé est salué aussi bien par les féministes que par les communautés indiennes dont il a été l’un des premiers à raconter avec autant de force le génocide. Il n’est donc guère étonnant de découvrir que le premier long métrage de cinéma de Busnel, co-réalisé avec son complice Adrien Soland, est un documentaire sur Jim Harrison, joliment intitulé Seule la terre est éternelle d’après un proverbe Sioux.

Tourné durant l’été 2015, le dernier de la vie de l’écrivain (qui décèdera en mars 2016 à son bureau alors qu’il était en train d’écrire un poème), Seule la terre est éternelle n’affiche aucune volonté didactique. Hors de question pour François Busnel de réaliser un portrait revenant sur tout le parcours de Jim Harrison pour en faire un quelconque biopic. Il préfère au contraire suivre Harrison durant tout un été avec un principe : il ne lui demandera jamais de faire quoi que ce soit et il filmera tout ce que Harrison fera sans aucun filtre. La démarche est passionnante mais exigeante : comment parvenir à intéresser un spectateur qui ne connaîtrait pas l’œuvre de Jim Harrison ? La réponse est dans le regard plein de tendresse que pose Busnel sur Harrison. Le travail du romancier et poète passe ainsi au second plan pour devenir le portrait d’un homme au crépuscule de sa vie. Avec son ‘’physique de cyclope (il a perdu accidentellement son œil gauche enfant en jouant avec une voisine – ndlr) et sa démarche de grizzly’’ – pour citer Busnel – Jim Harrison occupe tout l’espace du film.

En tâchant de capter l’esprit de Jim Harrison plutôt que son œuvre, Seule la terre est éternelle touche du doigt des thématiques universelles : ce n’est pas un film sur un écrivain, c’est un film sur un homme qui vieillit, un homme qui songe à sa vie et qui interroge son rapport au monde, à la nature, à l’Amérique, ce pays pétri de contradictions que Harrison regarde avec lucidité. Pour lui l’histoire de la conquête de l’Ouest, c’est celle de la cupidité. Une cupidité dénoncée à travers ses écrits et qu’il n’a de cesse de rappeler quand il parle. Une parole omniprésente dans le film, la sienne et seulement la sienne, Busnel s’étant également fixé comme mot d’ordre de ne pas intervenir. Il se contente ainsi de filmer Harrison parler (et quelle voix ! Quelle sagesse !), raconter parfois son histoire, raconter combien il est important de revenir à la nature pour repenser sa place dans le monde. Une place jamais acquise, à reconsidérer pour mieux vivre et pour mieux s’ouvrir aux autres.

Sans savoir que les images filmées à ce moment-là allaient être les dernières de Jim Harrison, François Busnel et Adrien Soland réalisent un film crépusculaire mais néanmoins tourné vers le monde, vers une certaine forme d’espoir. En effet, Jim Harrison est peut-être décédé (en écrivant à son bureau, quelle plus belle mort y a-t-il pour un poète ?) mais son parcours et son point de vue sur la vie nous apportent des leçons indispensables pour mieux appréhender la nôtre et nous inviter à sortir de notre zone de confort. Un film essentiel donc, philosophe et poétique que tout le monde devrait visionner pour peut-être ensuite se diriger vers les écrits de Jim Harrison. S’il était lu par chaque personne de cette planète, le monde ne s’en porterait que mieux.

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