Euphoria – Saison 2 : Do you feel the chaos ?

Série qui avait fait office d’électrochoc lors de sa diffusion en 2019, portrait stylisé et bourré d’émotions d’une génération d’adolescents en quête de sens et en manque de repères dans un monde n’ayant rien à leur offrir, Euphoria avait su capter avec justesse une certaine idée de la jeunesse actuelle. Nous attendions donc avec impatience la deuxième saison en nous demandant quel nouveau chaos elle allait bien pouvoir mettre en scène. La pandémie ayant gâché les plans de tout le monde, nous avons dû nous contenter de deux épisodes spéciaux en décembre 2020 et en janvier 2021. Deux épisodes produits et réalisés dans le temps fort de la pandémie et qui faisaient office de respiration bienvenue en se concentrant sur Rue et Jules avec énormément de dialogues. Une parenthèse assez calme qui ne nous préparait en rien au nouveau chaos que cette nouvelle saison, disponible sur OCS et achevée le 27 février dernier, allait causer.

Réalisée et écrite dans son intégralité par Sam Levinson, ces huit nouveaux épisodes composant la saison 2 se montrent d’une rare audace et poursuivent encore plus loin l’exploration commencée au début de la série. Seulement Levinson est loin d’être un cinéaste qui aime suivre les règles et il ne manque pas de casser les codes qu’il avait lui-même établi dans la première saison. Ainsi, alors que la narration en voix-off de Rue était omniprésente dans la première saison et que chaque épisode s’ouvrait par un retour sur le passé d’un personnage, tout vole ici en éclat. La narration de Rue se fait plus rare et si un épisode s’ouvre sur le passé de Cal, le père de Nate, permettant de mieux comprendre les tourments hantant le personnage, le reste de la saison abandonne très vite ces gimmicks auxquels nous avions été habitués. Il en résulte une narration en dents de scie, semblant obéir aux impulsions de Levinson et à ses envies du moment. Ainsi, McKay disparaît carrément du récit quand Kat se voit tristement reléguée à faire de la figuration, présente dans tous les épisodes mais très rarement au cœur d’une scène qui lui est entièrement dédiée. Même Jules, dont le très touchant épisode spécial avait cerné la belle complexité, est parfois mise de côté quand ce ne sont pas carrément des pans entiers de l’intrigue qui passent à la trappe. En contrepartie, on se réjouira de voir enfin Lexi (lumineuse Maude Apatow) passer de l’ombre à la lumière, osant sortir de l’ombre de sa sœur et nouant avec le dealer Fezco une relation remplie de tendresse.

Cela dit, cette narration chaotique, à l’image de ce que vivent les personnages, offre certes quelques regrets mais n’empêche pas l’immense réussite globale de la saison qui s’attache depuis toujours à capter de forts moments d’émotions. Si l’on peut arguer que la narration manque de rigueur, reconnaissons à Levinson un sens aigu des personnages et des émotions complexes, voire paradoxales qui les traversent. Dès le début de la série, il s’est attaché à mettre en scène des stéréotypes (la toxicomane, le beau gosse toxique, la bimbo) qu’il vient toujours dépasser. En témoignent les personnages de Nate, dont la violence est née de la relation avec son père ou de Maddy, prototype de la peste canon du lycée qui fait preuve d’une extrême intelligence et d’un sens aiguisé des réalités de ce monde (avec cette fabuleuse réplique : ‘’90% of life is confidence, and the thing about confidence is that no one knows if it’s real or not.’’)

Formaliste virtuose, Sam Levinson s’intéresse moins à la réalité concrète des choses (la pièce de théâtre montée par Lexi et au cœur du génial double épisode final a le budget improbable d’un musical de Broadway) qu’à la véracité des sentiments de ses personnages. Tournée intégralement en 35mm, Euphoria bénéficie d’une mise en scène et d’une photographie à couper le souffle, nous entraînant dans un univers à l’esthétique qui tape dans la rétine pour y rester gravé. On se souviendra encore longtemps du double épisode final, fabuleuse mise en abyme servant de catharsis pour bien des personnages ou encore de l’épisode 5, entièrement concentré sur Rue en pleine redescente de drogues, intense plongée au plus près du personnage, grand moment de cinéma (car oui on peut le dire, à ce stade-là, c’est du cinéma) qui fait battre la chamade à notre cœur. Un effet que produit régulièrement la série, celui de raviver des sensations adolescentes en collant au plus près de ce moment charnière des personnages, où tout est vécu plus intensément, sans recul avec la sensation que les lendemains n’existent pas.

Hautement addictive, parfaitement déprimante mais en même temps d’une justesse implacable dans sa description sans fards de la génération Z, Euphoria nous secoue et propose avec audace ce que peu de séries sur des adolescents ont fait auparavant : un regard sans jugement ni morale, collant simplement aux émotions de ses personnages avec une véracité bouleversante. Véritable nid à talent (pas un seul acteur n’est mauvais), cette nouvelle saison est également l’occasion pour Zendaya de prouver combien c’est une grande actrice. Capable de tout jouer, aussi à l’aise avec le ton comique (ses moues pendant la pièce de théâtre) qu’avec un registre beaucoup plus sombre et dramatique, elle déploie une impressionnante capacité à embrasser l’intégralité des nuances de son personnage avec un rare talent qu’on lui souhaite de pouvoir déployer au cinéma ailleurs que dans des grosses productions comme les récents Spider-Man. Elle est en tout cas la figure de proue d’une série au casting fourmillant de révélations que l’on rêve de voir plus régulièrement et pas seulement dans une troisième saison d’ores et déjà farouchement attendue, pour voir dans quel grand-huit émotionnel et visuel Sam Levinson compte cette fois nous emporter.

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