Funambules : Sur le fil du bizarre…

Réalisateur méconnu, en marge d’un système économique sélectionnant souvent ses films dans une logique lucrative mettant un point d’honneur à divertir le chaland Ilan Klipper fut néanmoins partenaire de travail du confidentiel et talentueux Virgil Vernier, ayant avec l’auteur de Mercuriales co-réalisé deux métrages à visée documentaire (notamment le bon et plutôt remarquable Flics en 2006, plongée immersive en forme de reportage dans le monde des képis bleus, ndlr). Pas forcément attendu (ou du moins pas inconditionnellement) son nouveau long métrage nous faisait pourtant de l’oeil au vu de son sujet à la fois sensible et passionnant, à savoir la folie et ses multiples manifestations chez une poignée de patients soigneusement choisis par le jeune cinéaste…

En un peu plus d’une heure de métrage Funambules donne la parole à toute une petite communauté d’inadaptés et de sociopathes doucement dangereux pour eux-mêmes et pour les autres : entre une jeune Aube au physique filiforme et toute en frasques délicates, un Yoan massif et tournant en boucle sur ses obsessions et sur son sentiment de persécution ou encore un Marcus entassant pathologiquement le moindre objet dans son bazar domestique ledit documentaire de Ilan Klipper se livre tel un portrait subjectif de ces quelques âmes blessées. Dès les premières secondes le ton nous est donné par le réalisateur : son documentaire se défendra d’apposer un regard neutre et objectif sur ses sujets, privilégiant la singularité de chacune et de chacun. Ainsi le monde haut en couleurs, mi-bleu, mi-pourpre et comme entre deux eaux de l’imaginaire éthéré de Aube, celui plus solaire et sans ambages du colossal Yoan et celui complètement encombré de Marcus nous sont présentés à travers la sensibilité pré-supposée de leur propriétaire respectif…

Présenté comme tel Funambules semble bel et bien porteur de réussite et de promesses tenues… Il faut pourtant se rendre à l’évidence : ce documentaire n’échappe jamais ni à la complaisance ni à l’indécence, mettant assez maladroitement en scène les vies intérieures du trio de figures sus-citées et de quelques autres présentées sporadiquement par le bonhomme. Avec l’accord officiel de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard situé en Seine-Saint-Denis Ilan Klipper cherche apparemment à montrer la vérité propre à chaque singularité, re-présentant ainsi et de manière artificielle les visions et obsessions de la jeune Aube à des fins sans doutes empathiques. On ressent rapidement cette volonté de « mettre en scène » les patients triés sur le volet par le réalisateur, empêchant dans le même temps de s’y attacher. Là où un maître du documentaire aurait réussi à transformer le sensationnalisme intrinsèque à sa démarche en une forme d’authenticité prégnante et mémorable (nous pensons par exemple au très beau 12 jours tourné par le grand Raymond Depardon il y a quelques années maintenant) Ilan Klipper se vautre dans un voyeurisme fortement déplacé, nous laissant penser à une regrettable instrumentalisation des sujets filmés. Là n’était peut-être pas l’intention de Ilan Klipper, qui accouche pourtant d’un documentaire sans autre fil conducteur qu’un enchaînement de témoignages sans grands attraits ni réelle cohésion d’ensemble…

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