Alerte rouge : Rencontre avec la réalisatrice Domee Shi et la productrice Lindsey Collins

Bien que le studio soit dernièrement privé de sorties dans les salles de cinéma, chaque film Pixar reste un événement. C’est pourquoi on ne peut que se réjouir d’avoir pu rencontrer Domee Shi, la réalisatrice de Alerte rouge (disponible sur Disney+ le 11 mars) ainsi que Lindsey Collins, sa productrice, venues à Paris dernièrement pour présenter le film. Une histoire à base d’adolescente se transformant en panda roux géant dès qu’elle est submergée par ses émotions où il est également question d’amitié, de relation mère-fille et de boys band. Tout un programme dans lequel chaque fan de Pixar pourra se retrouver (avec toujours ce bel équilibre entre humour et émotion) mais qui est également inspirée par la propre adolescence de la réalisatrice. Rencontre :

Domee, comment en êtes-vous arrivée à trouver l’inspiration pour Alerte rouge ?

Domee Shi : Je l’ai un peu conçu comme le successeur spirituel de Bao (qui a obtenu l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2019 – ndlr), j’avais envie d’explorer encore plus la relation qu’il peut y avoir entre une mère et sa fille. Je voulais faire un film pour la jeune femme que j’étais quand j’avais 13 ans : parler de l’adolescence et des changements terrifiants qu’on expérimente mais également insister sur le fait que tout va bien, on y survit.

Lindsey Collins : Et je peux vous dire que pour avoir trois ados à la maison, de mon côté j’effectuais des recherches tous les autour du film ! (rires) Je comprenais totalement le personnage de la mère ! Après Bao, on voulait vraiment voir le long-métrage de Domee et je tenais absolument à le produire.

Justement, après Bao, comment en êtes-vous arrivée sur un long-métrage ?

D.S : Pixar est tout de suite venu vers moi après l’Oscar pour me proposer de leur pitcher trois films. Dans tous les cas, je tenais vraiment à faire une histoire de coming of age, de jeune femme apprenant à accepter une adolescence perturbante. De mes trois idées, Alerte rouge a toujours été la plus personnelle mais aussi la plus universelle, je me suis dit que c’était celle-ci qu’il fallait creuser.

D’où est venue l’idée du panda roux ?

D.S : D’une part parce que j’adore les pandas roux, ce sont des animaux qui ne sont pas assez représentés au cinéma. Mais je trouvais que c’était la métaphore idéale pour cette histoire de puberté magique. Le rouge, c’est la couleur de la puberté, du désir, des menstruations, de la colère, ça correspondait parfaitement à l’histoire que je voulais raconter.

Vous avez créé un boys band assez savoureux pour le film…

D.S : Qui ne veut pas créer son propre boys band franchement ? Le pire c’est que ça a commencé comme une blague, il ne devait pas avoir un aussi grand rôle dans l’histoire et à force de le construire, il a pris de plus en plus de place, on s’est dit que de les voir en concert était un bon objectif pour Meilin, notre héroïne. Et puis on a eu Billie Eilish et Finneas O’Connell qui ont écrit trois chansons pour le film afin de donner vie au boys band de la meilleure des manières. Bon on aurait voulu plus mais avec notre budget on ne pouvait pas se permettre de payer une quatrième chanson ! (rires)

Comment avez-vous créé Meilin et ses amies ?

D.S : Tout simplement en m’inspirant de ma propre expérience. Il y a beaucoup de moi dans le personnage de Meilin et pour ses amies, j’ai fait un mélange entre les amies que j’avais et qui m’ont inspirées et entre un idéal, ce sont des amies que l’on aimerait toutes avoir. Je suis fille unique comme Meilin donc j’ai beaucoup cherché dans mes amitiés un lien fraternel au cours de ma vie. À noter que le personnage d’Abby, la petite nerveuse avec une voix un peu flippante est inspirée de mon amie Hyein Park qui a d’ailleurs doublé le personnage.

L.C : Je tiens à dire que j’ai beaucoup d’admiration pour Meilin. Malgré les changements qu’elle traverse, elle y fait face avec beaucoup de courage et reste soi-même en affichant une belle confiance en elle, c’est une héroïne inspirante.

C’est aussi pour être au plus proche de votre expérience que le film se passe en 2002, l’âge où vous-mêmes aviez 13 ans ?

D.S : Exactement.

L.C : Ça semblait logique pour Dommi et ça nous a très bien servi car à l’époque les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Une telle histoire racontée maintenant impliquerait forcément d’y inclure les réseaux sociaux et là ça nous a permis de nous concentrer sur l’essentiel.

Je suppose que toutes les références que l’on retrouve dans le scénario ou la réalisation sont hautement personnelles également.

D.S : Oui, le film me représente totalement. On peut y trouver tout ce qui a pu m’inspirer dans mon travail. J’aime aussi bien l’animation de Disney que l’animation japonaise avec ses expressions très marquées et très comiques comme dans Sailor Moon. Cette influence entre l’animation occidentale et orientale me correspond et correspond au personnage, chinoise vivant à Toronto.

Il y a beaucoup de femmes à des postes-clés du film, c’était une ambition dès le début ?

L.C : Absolument pas. Ce n’est pas un objectif qu’on s’était fixé, il s’avère simplement que lorsqu’on a commencé à recruter, les meilleures personnes pour ce qu’il nous fallait étaient des femmes. Ce n’est pas volontaire mais d’un côté, ça nous a permis d’être plus audacieuses. On a pu pousser certains éléments de l’histoire un peu loin sans être questionnées par un point de vue masculin.

Est-ce que Pete Docter a donné son avis sur le film ?

L.C : Bien sûr ! Pete est le directeur créatif de Pixar et le mentor de Dommi, il a un regard sur tous les projets du studio. Il aime pousser les gens à faire de leur mieux, à toujours aller chercher quelque chose en plus et il est capable de réaliser quand un film a besoin de plus d’humour ou au contraire de plus d’émotions.

Dommi, en tant que jeune femme asiatique dont on aperçoit les contraintes dans le film, est-ce que ça a été difficile de faire accepter à vos parents votre carrière artistique ?

D.S : Vous voyez ce moment dans le film où Meilin fait comme une grosse présentation PowerPoint pour convaincre ses parents de la laisser aller au concert ? J’ai fait pareil ! (rires) Ils étaient évidemment très inquiets à l’idée que je me lance dans cette carrière. Ils ont accepté à une seule condition : que je sois la meilleure bien évidemment ! (rires)

Est-ce que le film a connu beaucoup de changements au fil de sa production ?

L.C : Oui, ça a beaucoup changé mais c’est normal. Ce qui a beaucoup aidé, c’est que dès le début, Dommi connaissait parfaitement ses personnages. Meilin et sa mère sont toujours restées les mêmes, c’étaient elles le moteur du récit. On a dû faire huit projections du film en interne, un processus normal pour le ‘’réparer’’. Dommi a toujours gardé le cap, elle a toujours su ce qu’elle faisait ce qui n’est pas forcément facile. Cela représente quatre ans de travail et il est très facile de perdre l’humour du film au bout de la cinquième projection.

D.S : C’est facile de s’y perdre quand on travaille depuis aussi longtemps sur un film, on n’a plus vraiment de recul dessus. La clé, c’est de se servir des personnages comme boussole, ce sont eux qui guident l’intrigue. Tant qu’on reste fidèle aux personnages, on peut changer la trame sans problèmes.

Propos recueillis à Paris le 22 février 2022.

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