Dr. Jekyll & M. Hyde (Edge of Sanity) : Norman Bates l’éventreur

Dans la Chaleur de Saint-Tropez, L’amour à la Bouche, Parties Fines, Lady Libertine, Bourgeoise et…Pute ! Si ces titres de films ne vous disent rien, c’est que vous êtes bien trop jeunes. En revanche, si vous êtes en train de ressortir vos vieilles VHS Alpha France comme s’est empressé de le faire scrupuleusement Mathieu, notre rédacteur en chef, alors c’est que le cinéma de Gérard Kikoïne vous est bien familier. Connu comme l’un des fleurons du cinéma pornographique français du milieu des années 1970 au milieu des années 1980 il a côtoyé les plus grandes stars de l’époque et a apposé une sacré pierre au panthéon de la coquinerie nationale. Mais si nous évoquons Gérard Kikoïne aujourd’hui, ce n’est pas dans le but de convoquer ses chefs d’œuvre pour adultes, mais bel et bien pour parler de son avant-dernier long métrage, Dr. Jekyll et M. Hyde (très longtemps édité sous le titre Edge of Sanity). Car Gérard Kikoïne n’est pas seulement le metteur en scène de cabrioles fantasques, il est également l’homme derrière L’emmuré Vivant avec John Carradine et Donald Pleasance ainsi que de Dragonard avec Oliver Reed. Le projet Dr. Jekyll et M. Hyde lui a été confié complètement par hasard au détour d’un coup de téléphone avec le producteur du film qui lui demandait s’il souhaitait prendre la tête de cette nouvelle adaptation de l’œuvre de Robert Louis Stevenson avec Anthony Perkins dans le premier rôle. Kikoïne, en fervent admirateur de Psychose, ne s’est pas fait prier. Très prisé des festivals de films de genre où il était rediffusé assez régulièrement, Dr. Jekyll et M. Hyde ressort dans nos bacs vidéos édité par Sidonis Calysta dans un master divinement propre qui rend justice au travail de Kikoïne.

Londres, au XIXe siècle. Le docteur Jekyll, très brillant médecin, fait des études sur la cocaïne afin d’en extraire la molécule responsable de l’absence de fatigue et de douleur ainsi que sur l’aspect anesthésique de la drogue. Il s’en sert d’ailleurs lui-même à petites doses afin de pouvoir travailler pendant des heures sans ressentir la moindre fatigue ou baisse d’attention. Sa vie est tout à fait normale, ses amis médecins et sa femme le portent en haute estime bien qu’ils aient des doutes quant à la qualité de ses recherches. Mais un jour, tout bascule. Le petit singe sur qui le docteur Jekyll teste les effets de ses préparations renverse une solution expérimentale sur un énorme récipient contenant la drogue. De la fumée se dégage et Jekyll en inhale une grosse quantité par accident. C’est à ce moment que sa personnalité se dédouble et que M. Hyde voit le jour.

Gérard Kikoïne a accepté le projet en posant la condition de pouvoir remanier l’histoire originale à sa sauce. Il y avait déjà eu pléthore d’œuvres basées sur l’oeuvre romanesque, il cherchait quelque chose de neuf à pouvoir raconter. Ainsi, son film va aller piocher dans la légende de Jack l’Éventreur pour définir la personnalité de M. Hyde. Il analyse son antagoniste comme un homme qui a besoin d’évacuer un traumatisme d’enfance qui le travaille depuis le jour où il a surpris son père en train de coucher avec une prostituée. Animé par une pulsion meurtrière dévastatrice, il va s’en prendre aux travailleuses du sexe dans le quartier de Whitechapel dans le but de remettre la main sur la prostituée à l’origine de son mal-être. En mixant les deux histoires, Kikoïne délivre un projet ambitieux et nourri de tout un pan du cinéma qu’il affectionne. De l’expressionnisme allemand au cinéma gothique en passant par le giallo, Dr. Jekyll et M. Hyde est un savant mélange des genres. Des propres aveux de Kikoïne, il s’est longuement appuyé sur Vampyr de Carl Theodor Dreyer ainsi que sur Le Cabinet du Docteur Caligari de Robert Wiene afin de construire ses séquences. Son film est une merveille à analyser. Kikoïne enchaîne les tableaux avec une maestria déconcertante. Son cinéma pornographique était déjà nourri d’une mise en scène inspirée, mais il lâche littéralement les chiens ici. On en prend clairement plein les mirettes. De plus, grâce au superbe master proposé par l’éditeur, c’est d’une beauté sans pareil. Kikoïne décortique les trois couleurs primaires et leur affaire des obsessions bien distinctes. Le rouge renfermera la passion ardente et dévorante là où le vert s’imposera au sein du cocon morose du couple Jekyll et le bleu sera annonciateur du danger. Kikoïne bouscule le confort du spectateur car il entend l’emmener vers une variante surprenante de l’histoire de Stevenson.

Anthony Perkins y trouve son meilleur rôle après Psychose. Kikoïne lui avait confié avoir accepté de tourner avec lui afin de faire sortir le Norman Bates qui sommeillait en lui. Perkins s’amuse comme un enfant à laisser exprimer ses penchants sadiques. Ne l’oublions pas, nous sommes chez Gérard Kikoïne, il y aura donc du sexe et de la nudité. Cette dernière ne sera jamais gratuite. Pour Kikoïne, la sexualité doit raconter quelque chose. Avec Dr. Jekyll et M. Hyde, il explore la face sombre du sexe et ses travers masochistes qui constituent la psyché de certains meurtriers. On y trouve également un certain pamphlet anti-drogue puisque cette dernière aliène son protagoniste au point d’en faire un assassin sans foi ni loi. Et quand il s’agit de charcuter de la donzelle dénudée, on n’y va pas par quatre chemins : au scalpel avec égorgement et éviscération à la clé. Bien entendu, Kikoïne est un amoureux du gothique, il ne verse donc pas dans le voyeurisme malsain lorsqu’il s’agit de mettre en scène les meurtres. Il parvient à maîtriser avec subtilité ce qu’il peut montrer ou non, ce qui fait de Dr. Jekyll et M. Hyde un film d’horreur d’une très haute qualité. On ne compte plus les multiples plans où Kikoïne s’offre des amorces d’enfer qui ne sont pas là juste pour faire joli. Il y a une multitude de symboles que Kikoïne s’amuse à dissimuler afin de capter la psyché de son antagoniste. Il n’accuse pas totalement la drogue de son état, il y a une vraie recherche sur comment naît le mal chez un homme et évidemment, la perversion et le péché de luxure y sont pour beaucoup.

Dr. Jekyll et M. Hyde demeure le meilleur film de Gérard Kikoïne à ce jour. L’emmuré Vivant sort en 1990 et on ne verra plus jamais réapparaître son nom dans une salle de cinéma. S’il continue à venir défendre son travail à travers les divers festivals dans lesquels il est invité il est de ces artisans qui manquent cruellement à notre cinéma. Son film démontre un véritable savoir-faire avec une sacrée patine et un amour immodéré du cinéma. Un must have en puissance à posséder d’urgence dans votre collection.

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