Blue Bayou : Dégage ou crève

Blue Bayou étant sorti en DVD récemment, c’est l’occasion pour nous de revenir sur cette petite pépite du cinéma passée bien trop inaperçue à une période où Dune et Boîte Noire étaient en train d’accaparer tout le box office. Un film qui peut pourtant se targuer d’avoir la nouvelle Lara Croft à son casting en la personne de Alicia Vikander et réalisé par Justin Chon, incarnant également le personnage principal. Blue Bayou est un petit bijou en effet, car dès les premières images on sait que l’on va avoir affaire à une histoire incroyablement émouvante. L’intrigue se déroule à la Nouvelle Orléans où Antonio LeBlanc essaie de subvenir tant bien que mal aux besoins de sa femme enceinte et de la fille de sa femme, née d’un premier amour. Enfant déporté de la Corée à ses trois ans, il apprend ne pas être en règle aux yeux de l’état et risque l’expulsion, après avoir vécu plus de 30 ans sur le sol américain. On comprend rapidement que le message du film s’attarde sur une absurdité législative qui ne reconnaît la naturalisation ni par le droit du sol, ni par le mariage, ni même par l’ancienneté. Ses antécédents de voleurs et quelques complications de sa vie antérieure ne jouent pas en sa faveur. Le temps lui est compté pour remettre les choses en ordre.

En 2000 a été adoptée une loi sur l’immigration permettant de corriger cet aspect étrange des droits de naturalisation. Malheureusement, cette loi ne s’applique qu’aux immigrations advenues après les années 2000 et n’agit pas de manière rétroactive sur les anciens enfants immigrés ou déportés. Une situation que le film met en exergue, notamment à la fin, affichant un échantillon sous forme de liste de personnes ayant été expulsées du sol américain après y avoir vécu, travaillé et fondé une famille pendant plusieurs dizaines d’années. Blue Bayou remet donc au centre de l’intrigue l’opposition entre une loi, le caractère illégal de ces personnes qui ne sont pas naturalisés. Et ses conséquences sociales, familiales et mentales d’être rejeté du jour au lendemain par un système pour lequel on a consacré une majeure partie de sa vie. Le long-métrage arrive peut-être un peu trop tard, du fait que Joe Biden a une vision sur l’immigration beaucoup plus souple et ouverte, mais l’histoire fait écho, en partie, à la politique de Trump puisqu’une grande partie des expulsions relevées par le film se déroulent durant cette période ou celle de George W. Bush.

Cependant, quelque soit le pays, les questions d’immigration sont souvent au centre des débats publiques et politiques. Ils font couler beaucoup d’encre à cause de leur complexité logistique, humanitaire, sociétale ou de tradition ethniques. Pour chaque personne cherchant l’exil dans un autre pays, il devrait y avoir une décision au cas par cas, suivi d’un accompagnement associatif dans le cas de l’acceptation de sa requête. Blue Bayou relève bien à quel point il s’agit d’un sujet sensible dont il est difficile de tirer les bonnes conclusions. Mais la problématique relève surtout des erreurs du gouvernement. S’il y a différentes formes d’immigration qui doivent se gérer différemment, certaines ne devraient pas aboutir à de tels résultats. Sur ce point, le long-métrage de Justin Chon est d’une émotion palpable. Difficile de retenir ses larmes lorsque l’émotion suis le protagoniste sur la passerelle d’embarquement. C’est là le but du réalisateur, sans faire appel à notre humanité salvatrice, que l’on ne peut appliquer, faute d’éprouver suffisamment d’amour pour la terre entière. Il la réduit à une histoire précise pour mieux attraper notre compassion. Il n’y a rien de pire que de détruire la famille de quelqu’un sans autre forme de vergogne.

Si le film est particulièrement fort et émouvant, il n’en est pas moins superbement mis en scène. L’histoire est fluide et la narration navigue avec beaucoup de légèreté au milieu de ce sujet sensible. Cependant, il y a quelques ressorts larmoyants un tantinet trop tape à l’oeil. En réalité le film est très sérieux. Blue Bayou pourrait même vite virer au drame larmoyant grossier. C’est sans compter sur une pirouette inattendue de scènes presque trop simples pour être réalisées par la même personne. La tournure des évènements est dure, mais jamais immuable. Pour conserver cette lueur d’espoir perpétuelle, le scénario tombe dans la facilité pour éviter d’enterrer l’histoire dans sa propre noirceur. Des aveux de dernière minute, une scène d’action rafraîchissante mais injustifiée, une froideur émotionnelle parfois absurde pour servir le scénario. Quelques petits passages restreignent l’histoire dans une seule direction bien précise. Ce n’est pas dérangeant car le résultat final est particulièrement intéressant et émouvant, mais les ficelles sont clairement visibles.

Par ailleurs, Blue Bayou est visuellement marquant. Les images sont tournées en 35mm avec une caméra visiblement ancienne pour offrir un grain identifiable, grisâtre à l’image. Cela colle parfaitement à l’ambiance voulue par le film avec un visuel artistique prononcé. Beaucoup de plans et de composition d’images rendent le long-métrage d’autant plus fort visuellement. Il ne s’agit plus seulement d’une thématique sociale mais bien d’une oeuvre d’art. De plus, vous pourrez trouver sur le DVD une sélection de 5 scènes additionnelles, coupées lors du montage. Elles ont pour vocation d’amener plus de nuance à l’histoire et d’approfondir les liens du personnage principal avec son entourage. On comprend pourquoi elles ont été retirées, n’apportant rien d’indispensable et détournant la narration de son sujet principal, à savoir Antonio LeBlanc. On notera également un making off de 5 minutes faisant plus office de note d’intention que de véritable contenu additionnel. Mais cela est particulièrement instructif pour comprendre le schéma de pensée du réalisateur venu avec un tel sujet entre les mains.

En plus de la dimension sociale de l’immigration, vient également la thématique des violences policières. Et le duo mis en place dans le film est bien plus passionnant à analyser qu’il n’y paraît. Même si Ace (incarné par Mark O’Brien) semble bien trop malléable pour être être à ce point crédible, ou crédule. Son ambiguïté d’écriture montre aussi un sentiment de justice plus prononcé. En mettant un flic pourri jusqu’à la moelle accompagné d’un flic bien plus altruiste mais dont les volontés et ambitions entrent en conflit avec ses désirs familiaux, on y voit un homme des forces de l’ordre proche de la réalité et de ce que la majorité des policiers peuvent représenter. C’est son opposition face à un supérieur mal intentionné qui donne la profondeur de cette institution, et donc l’ampleur de cette tragédie.

Beaucoup d’éléments nous dépassent de très loin et nous empêche la clairvoyance de la situation. Il est toujours compliqué de faire le discernement entre la raison et l’émotion et c’est précisément ce sentiment que le réalisateur cherche à provoquer chez nous à la vision de son long-métrage. Justin Chon et Alicia Vikander offrent des prestations justes et attendrissantes, teintées de beaucoup de contradiction émotionnelles pour un drame d’autant plus authentique. Mark O’Brien semble quant à lui plus facilement coincé dans une ambiance légère et indulgente de son personnage. Bien qu’il eut été préférable de le voir au cinéma, son visionnage vidéo semble étonnamment adéquat.

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