Maigret : Rencontre avec Patrice Leconte

Maigret est de retour au cinéma 60 ans après sa dernière apparition déceptive sous la houlette de Gilles Grangier et son Maigret voit Rouge. Ce dernier film voyait le commissaire être incarné une dernière fois par Jean Gabin avant que le personnage cher à Georges Simenon s’échappe à la télévision interprétés par Jean Richard et Bruno Cremer avec force et talent. Place aujourd’hui à Gérard Depardieu qui rencontre (de cinéma) enfin les talents de Patrice Leconte qui adapte en compagnie du scénariste Jérôme Tonnerre Maigret et La Jeune Morte, un roman paru en 1954 pendant la fameuse période américaine de Simenon. Le roman est adapté librement par Tonnerre et Leconte, ce dernier retrouvant les écrits de Georges Simenon 30 ans après Monsieur Hire avec Michel Blanc, autre transposition au cinéma du célèbre romancier belge. Le rendez-vous avec Jules Maigret n’était finalement qu’une question de temps pour Patrice Leconte. Rencontre.

Pour commencer cet entretien, je tenais à vous remercier pour le retour du commissaire Maigret au cinéma. Il était temps de revoir cette figure sur un grand écran ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Le commissaire a toujours trainé quelque part notamment avec la télévision. Le cinéma est ma formation et ma culture, le dernier Maigret au cinéma était Jean Gabin qui était très bien. Gabin était un bon Maigret, ce n’était pas idiot de l’avoir choisi pour l’incarner. Réadapter Simenon, un auteur que j’adore, fréquenter ce personnage de Maigret dont j’ai lu les enquêtes quand j’étais adolescent, tout cela m’a beaucoup touché quand j’ai entrepris ce film. De faire du cinéma avec Gérard Depardieu également parce que l’occasion se présentait. Cela faisait longtemps que j’attendais une telle opportunité, alors je l’ai saisie. Tout cela mis bout à bout ou empilé comme dans un « Club Sandwich » c’est lumineux pour moi, il y a une démarche singulière, fervente, quelque chose de rare malgré toute la popularité du personnage. Ça ne concerne peut-être que moi cette rareté, je ne m’en rends pas bien compte. 

Qu’est-ce qui vous a tenté plus spécifiquement à vous lancer dans ce projet  ?

J’ai commencé à regarder du côté de chez Simenon, à fouiller juste comme ça par curiosité, pour voir en compagnie de Jérôme Tonnerre avec qui j’ai écrit quelques-uns de mes films. Et c’est lui qui m’a soumis l’idée de relire du Maigret. J’en avais lu pas mal à mon adolescence. Je m’y suis replongé en (re)lisant certaines enquêtes et j’ai rapidement compris que ce personnage était fascinant. On croit le connaître, car il fait partie de la culture aujourd’hui. De le suivre, de l’écouter, d’être au diapason de ses rythmes, ça m’a parlé tout de suite. On s’est partagé le travail avec Jérôme en relisant encore des Maigret. Il est tombé sur La Jeune Morte et m’en a parlé en pensant que c’était la bonne approche. Nous sommes partis comme ça.

La Jeune Morte n’a justement jamais été adapté même dans la série télévisée avec Bruno Cremer.

Si, il y a – m’a-t-on dit – mais je me suis bien passé de le voir – un Maigret et La Jeune Morte adapté avec Jean Richard. C’est de la vieille TV. Cremer était un Maigret crédible, plutôt très bien même, encadré par des réalisateurs d’expérience venant tous du cinéma français des années 1980 (comme Serge Leroy par exemple).

Comment se travaille du Georges Simenon et plus directement une adaptation d’une enquête de Maigret pour le cinéma ?

Un Maigret fait deux cents pages donc la durée raisonnable d’un long-métrage. Je me souviendrais toujours de Jean-Claude Carrière qui était venu nous parler des adaptations de romans quand j’étais étudiant. Il travaillait avec Luis Buñuel sur Le Journal d’une Femme de Chambre d’Octave Mirbeau et il nous avait dit cette phrase qui ne m’a jamais quitté : « Quand vous adaptez, si un jour vous faites du cinéma et vous adapterez des romans, vous lisez le roman une fois deux fois cinq fois si vous voulez, après vous le fermez et vous le mettez sous lit pour ne plus l’ouvrir. Après ce roman vous appartient ». Avec Maigret, c’est ce qu’on a fait. On l’a lu et relu puis on l’a oublié. On a gardé certaines choses cruciales puis on a viré tout le reste. Avec Jérôme Tonnerre on ne s’est jamais référé au livre. On s’est dépêché d’oublier le livre, pas pour le bazarder, mais pour jouer notre propre musique. On ne souhaitait pas être illustrateurs du bouquin. On a pris des libertés de folie, mais l’esprit est là. L’esprit de Simenon est là, l’esprit de Maigret est là. Sans le roman on n’aurait pas pu inventer l’intrigue. Puis le dernier mot revient à l’héritier et fils de George Simenon, John qui gère le patrimoine et les droits de son père, il a son mot à dire sur les Maigret qui se produisent. Il a lu l’adaptation très libre qu’on avait écrite et nous a dit : « vous avez pris des libertés incroyables avec le livre, mais mon père les aurait adorés. »

Georges Simenon était strict avec les adaptations de son travail au cinéma.

Oui, mais on avait un apriori favorable, car Georges Simenon, avant de mourir, avait eu le temps de voir l’adaptation de Monsieur Hire et il avait adoré le film. Donc quand j’ai présenté l’adaptation de Maigret et La Jeune Morte à John Simenon, je savais qu’il allait le lire avec attention et un apriori favorable. Et ça a été le cas.

La jeune morte du film.

Vous avez exprimé votre joie de travailler avec Gérard Depardieu sur ce film. Il a été le choix idéal de suite pour vous ? Il était Maigret ?

J’ai essayé de ne pas penser à lui en écrivant l’adaptation. Ce qui est très dur, car je ne souhaitais pas prendre le risque de ne penser qu’à lui et puis à l’arrivée il me dit « non je n’ai pas très envie ». Alors à ce moment-là on fait quoi ? Donc j’ai essayé de ne pas penser à lui, mais c’était plus fort que moi. Il m’a même dit oui avant que je lui présente le scénario en me disant « un Simenon puis de faire un film enfin avec toi c’est quand tu veux ». Puis il a adoré le scénario. On ne se connaissait pas du tout avant de faire le film ensemble. On ne s’était jamais vu, à peine croisé deux fois peut-être sans vraiment se parler. J’avais cette envie un jour de travailler avec lui. Il faut attendre, ne pas se forcer, attendre que les belles occasions arrivent.
Avec Gérard il n’y a même pas eu des projets tombés à l’eau ni des rendez-vous manqués. Bizarrement il n’y a jamais eu de projets. Et là aujourd’hui il me dit ne plus vouloir faire que mes films. Alors je lui réponds qu’il ne va plus beaucoup tourner s’il ne travaille qu’avec moi (rire). On s’est vraiment trouvé avec une confiance et une amitié qui se sont créées naturellement, surtout une confiance entre nous qui s’est précipitée. C’est drôle quand cela arrive dans la vie : vous rencontrez des gens et en deux jours vous avez l’impression de les connaître depuis dix ans. C’est une sensation très épanouissante. 

Dans le film il est un Maigret fatigué presque fantômatique promenant sa carcasse imposante de lieux en lieux au cœur de Paris. Il ne fume plus la pipe, il n’a plus d’appétit. On ressent votre intérêt pour ce vieux commissaire à bout de souffle. Il est le sujet du film.

C’était bien de situer Maigret sans faire d’amalgame avec Gérard Depardieu. Il y a aujourd’hui chez les deux hommes une forme de lassitude avec un petit poids mélancolique sur les épaules. Et cela me plaisait sans vouloir faire un portrait de Maigret qui serait décevant, ce n’est pas cela du tout. C’est pour montrer quelqu’un qui est réaliste, authentique. Quand vous montrez des grands policiers au cinéma, ils sont toujours vaillants prêts à partir en enquête et arrêter les grands méchants. Un peu à l’image du dernier Hercule Poirot ou Sherlock Holmes, on ne peut pas les voir à bout de souffle. Alors que c’est cela qui humanise de manière magnifique le commissaire Maigret, d’en faire un homme qui n’a plus trop d’appétit, son médecin qui lui prescrit d’arrêter le tabac. Mais qu’est-ce qui va lui rester ? Parce que chez un personnage qui est au bout du rouleau, de voir ce personnage reprendre goût à la vie à son métier parce qu’une jeune fille est retrouvée morte lardée de coups de couteau alors qu’elle n’avait pas encore 18 ans, on ne connaît pas son identité, d’où elle vient et pourquoi elle a une robe du soir… et d’un coup en fonction de ces éléments-là bouleversants, cela le captive : qui était cette victime, cette fille ? Il reprend goût à la vie grâce à une jeune morte et cela m’a beaucoup touché.

Vous captez son souffle, son regard, sa présence et le dernier plan le montre s’enfoncer dans les hauteurs de Montmartre et s’évanouir tel un fantôme, il s’évapore… Et vous me dites qu’avec cette enquête il reprend goût à la vie ? 

Il a repris goût à la vie. Et à partir du moment où il a réussi à comprendre les faits, à savoir qui était cette fille, qu’elle avait pu être sa vie à moment-là, il n’est plus utile à rien, plus utile à ça en tout cas. Puis de toute façon elle est morte, il l’a enterrée, mais il a réussi à comprendre. C’est quelque chose que je partage volontiers avec Maigret, l’envie de comprendre. De savoir comment cela marche, de savoir pourquoi ça s’est passé, comment ça s’est passé, de comprendre en l’occurrence qui était cette jeune fille. Monsieur et Madame Maigret ont eu une fille qui est morte, un point évoqué entre les lignes dans le film, et cette fille aurait eu 18 ans au moment de l’histoire du film, comme la jeune morte. Il y a donc un rapport étrange « père/fille » qui est fort je trouve.

Justement vous donnez beaucoup de présence à sa femme qui a un vrai rôle et vous ouvrez le cadre familial de Maigret. 

Un personnage comme Maigret, même s’il est commissaire au 36 Quai des Orfèvres, et bien il a une vie. Il n’a plus d’enfant, il a une femme, un logis, une adresse. Il a des dimanches, des petits quotidiens et autres choses. Cela me touchait de le dévoiler pour être dans l’humain. De passer sous silence Mme Maigret aurait été idiot. Elle existe que très peu dans les romans mais je m’en fiche, voilà l’exemple d’une de nos libertés prises. Je ne dis pas cela contre Simenon, mais c’était important, car c’est un personnage authentique. Elle lui aurait demandé une baguette de pain, j’aurais bien vu Maigret dans une boulangerie. Parce que Maigret est un type comme toi et moi. Il achète une baguette et/ou prévient sa femme par téléphone de ne pas l’attendre le soir pour le dîner, car il va rentrer tard. Ce que j’aime chez madame Maigret est sa bienveillance et sa compréhension du travail et de la tâche de son mari. C’est un vrai couple qui s’aime et s’adore et il faut le ressentir à l’écran.

Entretien effectué par Mathieu Le berre le mercredi 16 février 2022 à Paris.
Remerciements à Marion Seguis et Jérôme Barcessat de l’Agence Déjà 
pour la possibilité de cet entretien.

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