Maigret : Auscultation d’un mythe

Le commissaire Jules Maigret est de retour au cinéma. 60 ans après Maigret voit Rouge réalisé par Gilles Grangier concluant la trilogie populaire et réussie avec Jean Gabin, le célèbre commissaire du 36 Quai des Orfèvres a promené sa carrure imposante principalement sur le petit écran. Jean Richard dans les années 1970 puis Bruno Cremer vingt ans après l’ont massifiés à la télévision française avant que les Anglais récupèrent le personnage sous les traits de Rowan « Mr Bean » Atkinson pour une version rosbif de 2016 fidèle et appréciée.
Il est dorénavant grand temps que le héros signé Simenon reprenne ses aises sur grand écran incarné par un géant du cinéma qui s’impatientait à fumer la pipe et enquêter sur une sordide affaire : Gérard Depardieu.

Maigret est tout d’abord l’occasion d’une rencontre : celle de Patrice Leconte et de l’acteur français qui n’avaient pas travaillés ensemble depuis le début de leurs carrières respectives. Simenon et son Maigret les réunissent finalement, Gérard Depardieu acceptant le scénario sans la moindre lecture. Cette nouvelle transposition s’attache à l’esprit de George Simenon tout en prenant des libertés sur le récit originel. Patrice Leconte et son scénariste Jérôme Tonnerre adaptent Maigret et La Jeune Morte dans les grandes lignes selon le réalisateur. La comparaison ne peut être faite faute à la méconnaissance du roman. Ce qui intéresse principalement Patrice Leconte et son scénariste est le commissaire lui-même. Gérard Depardieu incarne un Jules Maigret vieillissant qui a trop enquêté, vu trop de morts en arpentant sans relâche les dédales de Paris. Le commissaire est fatigué se révélant dans le film en plein examen chez le médecin (légiste). Il n’a plus d’appétit, plus d’énergie, plus goût à rien. Maigret est lessivé, portant le poids des années sur ses épaules.

La grande force de ce nouveau long métrage est Maigret. Il est le sujet du film comme suggéré par le titre en gros sans complément ni précision sur l’affiche. Patrice Leconte observe le personnage, l’ausculte captant son regard, ses sentiments, ses sensations, son souffle, son flair. Le spectateur se retrouve au plus près de cette masse imposante qui se déplace avec difficulté. Gérard Depardieu lui prête à merveille sa carrure monumentale. L’acteur français est un choix idéal pour cette vision finale du héros de Simenon. Après Jean Gabin et Bruno Cremer, il s’aligne incarnant un commissaire bienveillant, protecteur et malin dont le flair ne trompe pas. Il est un protagoniste toujours en mouvement, fantomatique dans cette reconstitution simple d’un Paris des années 1950 sans la moindre protubérance esthétique. Une cour d’immeuble, un parc et des intérieurs captent la photographie grisâtre de Yves Angelo, directeur de la photo et un temps réalisateur notamment avec Les Âmes Grises (2005). Collaborateur de longue date avec Alain Corneau, il s’associe avec Patrice Leconte pour un équilibre fameux rendant l’atmosphère mortifère référence attendue. 

Le film fonctionne parfaitement avec cet équilibre entre états psychologique/physique du commissaire et l’esthétique de film noir souhaitée pour habiller l’histoire. La trame passe en second plan au cœur de ce film où les coupables sont rapidement identifiés. Il ne faut pas la faire au commissaire. L’histoire nous embarque aux basques d’un Maigret essayant de comprendre cette jeunesse en quête de liberté. La jeune morte est une fille perdue de la campagne. Les trains en déposent quotidiennement pour mieux trainer leurs guêtres sur les pavés de Paris. Elles guettent la belle vie parisienne, la libération des tâches ardues à l’usine ou à la ferme. Elles deviennent surtout la chair fraîche pour des prédateurs sans scrupules embrigadées malgré elles dans des petites mœurs. Le commissaire fait face à cette incompréhension, à ses vies qui ne dépendent de rien ou de si peu. Elles deviennent rapidement des cadavres retrouvés la nuit au milieu d’un parc. 

Maigret est une énième transposition authentique du travail de George Simenon. Si Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre prennent des libertés idoines pour les besoins du film, ils ne collent jamais à l’hystérisation des adaptations contemporaines des différents détectives célèbres comme Hercule Poirot ou Sherlock Holmes. Maigret est égal à lui-même incarné sans la moindre mégalomanie par Gérard Depardieu qui s’efface sous le chapeau et le manteau. Une incursion singulière et unique qui ne connaîtra point de suite, le but n’est pas là avec ce film classique – dans le sens noble du terme – à la construction antédiluvienne pour notre plus grande joie.

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