La Bataille d’Alger : Aux couffins de la violence…

Algérie, 1962 : suite aux accords d’Évian et à l’amnistie générale de rigueur l’indépendance de l’ancienne colonie française est proclamée un certain 5 juillet, mettant fin à une guerre ayant duré près de huit ans sur le sol nord-africain, conflit ayant principalement opposé l’Armée française au Front de Libération Nationale.

France, 2022 : Jean-Baptiste Thoret propose de revenir sur le film matriciel que représente La Bataille d’Alger de l’italien Gillo Pontecorvo le temps d’un programme mensuel estampillé Make My Day ! en la forme d’un 40ème numéro résolument collector agrémenté de nombreux bonus revenant sur l’expérience dudit film. Soixante ans après une guerre mêlée de haine, de terreur et surtout de honte la ressortie de La Bataille d’Alger fait pratiquement office de devoir de mémoire pour les cinéphiles français, européens et même du monde entier, tant cet édifiant long métrage retrace avec un sens de la synthèse inouïe l’une des pages les plus abjectes de l’Histoire de France du XXème Siècle.

Presque intégralement concentré sur l’évènement intrinsèque à son intitulé La Bataille d’Alger fut donc tourné « à chaud » et littéralement « sur le terrain », soit seulement quelques mois après la déclaration d’indépendance dans les venelles, bas-quartiers de la casbah et district européen de la capitale algérienne… En résulte une impression de véracité majeure, donnant raison à l’expression tant galvaudée de « cinéma documentaire » trop souvent employée pour les fictions plus ou moins historiques à visée réaliste et factuelle. Ici Gillo Pontecorvo embarque sa caméra dans un Alger tentaculaire opposant activistes autochtones et colons français, jouant d’une épure stylistique allant directement à l’essentiel : acteurs non-professionnels (à l’exception de Jean Martin, unique comédien de renom du casting incarnant ici le colonel Mathieu, ndlr), Noir et Blanc charbonneux, partition musicale co-écrite par Ennio Morricone aux motifs bruts et telluriques, presque…

Se déroulant entre 1956 et 1957 la fameuse bataille d’Alger fut le triste théâtre d’un conflit opposant donc le FLN à l’Armée française, le premier cherchant l’obtention de son indépendance à renfort d’attentats, de grèves puis d’insurrections lorsque la seconde tenait à maintenir sa puissance coloniale sur les algériens. Fruit de la volonté de Yacef Saadi (ancien membre important du FLN jouant son propre rôle dans le film) de voir adaptée son expérience sur grand écran par un cinéaste digne de ce nom (le projet fut dans un premier temps soumis à Luchino Visconti, réalisateur au style certainement trop sophistiqué pour un sujet aussi sensible si l’on en juge par son très beau mais pompeux Le Guépard tourné à la même époque…) La Bataille d’Alger sort donc en salles en 1965 en Italie et seulement cinq ans plus tard sur le territoire hexagonal ; objective et pragmatique la mise en scène de Gillo Pontecorvo semble ne rien laisser au hasard sans pour autant fabriquer, disposer ou sublimer ce qu’il capte dans l’urgence. Entre les calculs et autres stratégies du démantèlement du FLN fomentés par l’Armée française et les nombreuses dissimulations des activistes (la fameuse séquence centrale du triple-attentat exécuté par des femmes à priori au-dessus de tout soupçon, le subterfuge des couffins susceptibles de contenir des armes en toute impunité… autant d’éléments témoignant d’une éloquente taqiya, cette crainte musulmane voué à contrecarrer l’ennemi à renfort de prudence un tantinet sournoise, ndlr) le réalisateur montre donc deux camps avec une impartialité propice au questionnement du spectateur, ne tranchant jamais véritablement.

Un film important donc, montrant la guerre dans tout son dénuement et toute sa violence contenue. La Bataille d’Alger marque pratiquement les prémices du terrorisme international, référence ultime du cinéma européen qui porte en germe bon nombre d’autres films du genre. Indispensable.

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