Massacre à la Tronçonneuse : Gentrification saccagée un soir de Vendredi 13

Avant d’entrer dans le vif du sujet, éclaircissons quelques points sur le bordel chronologique qui constitue la saga Massacre à la Tronçonneuse afin que tout le monde y voit plus clair. Dans un premier temps, il y a eu le film original de Tobe Hooper qui laissa place à quatre suites directes jusqu’en 1994. Ensuite, il y eu le remake de Marcus Nispel en 2003 qui reprenait les codes graphiques et le discours du film original pour les remettre au goût du jour et plaire au public adolescent de ces années-là. Ce film engendra une préquelle en 2006 dans une continuité similaire. Deux films qualitativement honorables qui avaient le mérite de donner envie de se tourner vers les originaux pour découvrir d’où venait la saga. Et c’est à partir de là que tout se corse. En 2013 est sorti Texas Chainsaw 3D qui était une séquelle directe du film original, éclipsant tout ce qui avait été fait jusqu’alors pour délivrer un résultat aussi paresseux qu’oubliable. Puis ce fut le tour du duo français Maury/Bustillo qui vint proposer une préquelle au film de Tobe Hooper censée nous raconter la naissance de Leatherface. Leur film fut totalement charcuté par Millenium Films et bien qu’on y décelait des bribes d’idées qui auraient pu être merveilleuses, Leatherface était un projet raté dont la vision artistique de ses auteurs a été totalement dépouillée par ses producteurs. Nous en arrivons donc à ce nouveau film sorti directement sur Netflix. Massacre à la Tronçonneuse entend bien surfer sur la mode des requels sauce Halloween ou Scream pour tenter de redorer le blason d’une saga qui n’aurait jamais du en être une et en faisant fi de toutes suites pour directement coller à l’original. Réalisé par David Blue Garcia, originaire du Texas et directeur de la photographie sur bon nombre de projets dont son premier long métrage inédit chez nous, Tejano, nous étions en droit d’attendre une critique acerbe de la vision des rednecks en opposition avec celle mise en évidence par Hooper en 1974. De plus, la présence de Fede Alvarez à la production rassurait quant au respect des codes du film original, lui qui était l’instigateur du remake de Evil Dead, l’une des meilleures revisites que le genre ait connu.

Melody, sa sœur adolescente, Lila, et leurs amis, Dante et Ruth, se rendent dans la petite ville de Harlow, au Texas, pour lancer une nouvelle entreprise. Mais leur rêve se transforme bientôt en cauchemar éveillé lorsqu’ils pénètrent sans crier gare dans le monde de Leatherface, le dangereux tueur en série dont l’héritage sanglant continue de hanter les habitants de la région. Parmi eux, Sally Hardesty, unique survivante du tristement célèbre massacre de 1973, est bien décidée à se venger.

Que d’espoirs d’un film qualitatif envolés en fumée ! S’il plaira aux adolescents pas trop regardants et amateurs de gore, ce Massacre à la Tronçonneuse loupe complètement le coche de sa résurrection. Dans les faits, le film est généreusement gore, complètement turbo-débile tout juste bon à hacher de la chair fraîche à tour de bras, ce qui peut être une qualité, entendons-nous bien. Sauf qu’en agissant ainsi, le film se dépossède totalement de toute l’essence qui rendait le film de Hooper si unique. S’il est considéré comme l’un des meilleurs films d’horreur de tous les temps, ce n’est pas en vain. Le premier Massacre à la Tronçonneuse constatait la brutalité d’une horreur sociale qui voyait s’affronter une Amérique flower power en marge d’un État qui devait assumer ses erreurs de la Guerre du Viêt Nam face aux laissés pour compte des espaces ruraux ayant servi d’outil au gouvernement pour être envoyés sur le front en toute impunité. Le film de Hooper était éminemment politique et usait d’une horreur psychologique avant d’être graphique. Leatherface n’était qu’un instrument, un enfant piégé dans un corps d’adulte qui subissait le joug d’une famille déséquilibrée qui entendait pratiquer ses propres lois dans un pays qui les avait totalement abandonné. Revenir aux origines pour venir faire l’état des lieux cinquante ans plus tard était une bonne idée. Seulement, jamais il n’en sera question. S’il pointe légèrement un phénomène de gentrification où il voit Leatherface en colère face aux bobos hipsters venus mettre la main sur sa ville, cela ne devient qu’un prétexte pour voir le tueur charcuter ses victimes à tour de bras. Leatherface devient un boogeyman à la sauce Jason Voorhees, anti-woke et bien énervé. Il est censé être un vieillard de plus de 70 ans mais a la vitalité d’un jeune de 20 ans !

De ce fait, la suspension d’incrédulité en prend sacrément pour son grade. Non content de ne pas être raccord avec le corps vieillissant de son antagoniste, le traitement réservé à Sally est bien pire. David Blue Garcia cherche à iconiser son héroïne en jouant sur l’attente. Lorsqu’il la dévoile, on ne peut que penser à David Gordon Green qui mettait Jamie Lee Curtis sur un piédestal. Sally est devenue une guerrière, prête à en découdre coûte que coûte là où nous l’avions laissé totalement traumatisée en 1973. Sa présence vient appuyer la corde sensible des fans, c’est certain, mais son traitement et le sort qui lui est réservé décevra à coup sûr. D’autant que question suspension d’incrédulité, il y a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête également. Apparemment, Sally traque son bourreau depuis cinquante ans…alors qu’il vit littéralement à côté de chez elle ! Pas très futée la chasseuse, non ? Ce manque de construction narrative est typique de tout ce qui ne va pas dans ce film. L’écriture est paresseuse et sans intérêt. Massacre à la Tronçonneuse se transforme en slasher crétin et bas du front. Certains souligneront la qualité de ses effets gores en pointant surtout la séquence du bus. En l’état, cette séquence est vraiment jolie et généreuse, on ne peut nier les faits, mais elle n’a pas sa place au sein du projet. Imaginez la fin outrancière du Braindead de Peter Jackson où la tondeuse à gazon laisse place à la tronçonneuse et vous ne serez pas loin de la réalité. Oui c’est fun, gore, jouissif et à l’image des ambitions artistiques propres à Fede Alvarez, mais en aucun cas cela ne sied à l’esprit Texas Chainsaw. Il y a erreur sur la marchandise, ce n’est pas avec l’univers de Leatherface qu’il fallait faire ce film. D’autant qu’il n’accorde aucun discours probant sur la ruralité vue par les jeunes générations actuelles. Le redneck bête et méchant comme il existait dans Délivrance ou la franchise Détour Mortel avait eu droit à des films qui tentaient de changer son image (Tucker & Dale Fightent le Mal). Le film aurait du mettre en évidence une certaine évolution des pensées, l’envie de la jeunesse de se reconnecter avec son terroir, de reconquérir les fantômes du passé pour effacer les erreurs de leurs pères. Au lieu de cela, nous avons la sempiternelle bande de crétins abrutie comme jamais face à la colère des vieux briscards qui ne veulent pas d’eux dans leur vie. Il ne manquait plus qu’un « ok boomer » soit lâché pour que le tableau soit complet. Que c’est navrant ! Le discours est aussi peu inspiré que la photographie terne que lui confie David Blue Garcia (plutôt ironique quand on sait qu’à la base c’est son travail de fournir une belle photographie).

En résumé, Massacre à la Tronçonneuse est un film gore et généreux dans ses mises à mort, oui. Il ravira les amateurs de tripaille autant qu’il exécrera les fans de l’œuvre originale qui verront leur film phare se faire piétiner une fois de plus. Déjà que c’était un bordel sans nom de réussir à se repérer dans les multiples time-lines de la saga, voilà qu’il faut se coltiner des ados toujours aussi décérébrés, un tueur immortel et aussi puissant que Jason le mort-vivant, une image lissée au possible et un discours aussi percutant qu’une allocution d’Eric Zemmour. Le film aurait gagné quelques galons et un peu plus de reconnaissance de notre part s’il avait été un slasher présentant un boogeyman inédit. Dans les faits, il n’en reste pas moins qu’un mauvais film estampillé Massacre à la Tronçonneuse

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