BigBug : Quand le disque dur déraille sévèrement

Neuf ans ! Voilà neuf ans que nous attendions patiemment le retour de Jean-Pierre Jeunet au cinéma. Après l’échec cuisant de son dernier film, nous pensions qu’il raccrocherait les gants, lui qui nous aura tant fait rêver dès son premier long métrage. Le désintérêt des spectateurs pour L’extravagant Voyage du Jeune et Prodigieux T.S. Spivet (à peine plus de 600 000 entrées en salles) s’expliquait, entre autres, par une sortie au cinéma l’ayant littéralement tué dans l’œuf. En effet, Jeunet avait entièrement pensé et tourné son film en 3D pour une projection dans les salles équipées. Pour une fois, Jeunet délaissait les courtes focales et les plans serrés au profit de paysages somptueux qui auraient pris tout leur sens dans une salle 3D. Seulement, au moment de sa sortie, la firme Warner a déboulé avec le mastodonte d’Alfonso Cuarón , Gravity, et s’est entichée de toutes les meilleures salles 3D via un marketing outrancier qui survendait l’expérience immersive du bousin. Outre un premier quart d’heure en guise de démo technique effectivement impressionnant, Gravity n’avait plus aucun intérêt si ce n’est de donner l’illusion d’une histoire bête telle « François Pignon perdu dans l’espace ». Jean-Pierre Jeunet vit son film proposé en salles dans un format consensuel et perdit l’occasion d’en mettre plein la vue comme il le souhaitait. Mais ne rejetons pas toute la faute sur la terrible concurrence de l’époque, T.S. Spivet était loin d’être un film inoubliable et s’avérait même être un Jeunet mineur. Il faut avouer que Jeunet avait déjà en tête le scénario de BigBug au moment où il tournait T.S. Spivet. Persuadé de tenir une histoire prenante et intéressante, il essuiera les refus d’absolument tous les studios. Personne ne voulait produire son film jugeant que le sujet ne fonctionnerait pas en salles. Il faudra attendre que Netflix l’approche pour lui demander s’il n’a pas un projet en stock. En moins de 24h, BigBug avait trouvé un acquéreur. Le tournage du film débuta en octobre 2020 pour finalement atterrir sur la plate-forme en ce début d’année 2022.

En 2045, tous les résidents d’une maison possèdent des robots d’intérieur. Dans sa maison uniquement équipée de vieux modèles de robot d’intérieur, Alice reçoit Max, un homme qui tente de la séduire en parlant d’art et qui est venu accompagné de son fils, Léo. L’ex-mari d’Alice, Victor, débarque avec leur fille, Nina, et sa nouvelle compagne, Jennifer, avec laquelle ils vont partir se marier sur une île artificielle et paradisiaque. Peu après arrive également Françoise, la voisine d’Alice, venue récupérer son chien, Tobby 8. Alors que tous ses invités s’apprêtent à partir, une révolte d’androïdes, menée par les robots Yonix, éclate à l’extérieur. Les robots d’intérieur d’Alice, non affectés par les mises à jour des Yonix, décident d’enfermer les humains pour les protéger. Alors que les robots d’intérieur tentent d’acquérir des traits humains pour rassurer leurs protégés, ceux-ci tentent d’imaginer des moyens pour sortir tout en tentant de cohabiter à sept.

Aucun studio n’a voulu de BigBug… et l’on comprend douloureusement pourquoi : Que c’est fastidieux ! Du moins dans sa première heure, mais nous évoquerons la seconde partie ci-dessous. Rien ne va dans l’exposition du film. À l’exception des deux plus jeunes têtes du casting (Hélie Thonnat et Marysole Fertard) et d’Isabelle Nanty qui, elle, demeure impeccable en tout temps et parvient toujours à trouver le ton juste, peut-on savoir ce qui est arrivé aux autres comédiens ? Si les consignes sur le plateau étaient de surjouer les émotions dans le but de bien se démarquer des robots, alors, mea culpa, c’est une franche réussite, mais nous doutons qu’il en soit ainsi. Elsa Zylberstein et Stéphane de Groodt font vraiment peine à voir. Eux qui d’ordinaire étonnent par l’investissement et les émotions qu’ils accordent à leur texte tombent dans un monolithisme de pacotille. On se croirait devant un film d’étudiant en cinéma qui expérimente sa première direction d’acteur. L’électroencéphalogramme demeure continuellement plat, rien ne passe. Une fois encore, cela jouera sur la finalité de la relation entre les deux personnages, mais il y avait autre chose à faire pour parvenir au même résultat. De fait, impossible de rentrer confortablement dans BigBug qui entend capitaliser son concept de huis-clos sur les talents de ses comédiens, et surtout pas lorsque entre en scène Victor, interprété par Youssef Hajdi. Mêlant une attitude démesurée qui ferait passer le casting de La Cage Aux Folles comme non-maniéré à un accent marseillais à couper au couteau aussi réussi que Gérard Depardieu sachant parler russe, il y a vraiment un problème de direction d’acteur qui se dessine. On ne voit pas ce que Jeunet tente de démontrer par ces traits de personnalités grossièrement poussés. Si les robots campés par Alban Lenoir et Claude Perron surjouent pour mieux crédibiliser leur condition, soit ! Mais pourquoi ramener les humains au même niveau que les robots ? D’autant que Jeunet nous fait bien comprendre son parti pris envers les nouvelles technologies qu’il juge avilissantes. Pourquoi donc confie-t-il la voix d’André Dussollier au robot Einstein, qui entre parfaitement en contradiction avec ce qu’il compte défendre ? Einstein est un robot malin, en quête perpétuelle de savoir pour rendre la vie de ces humains la plus belle possible… complètement à l’opposé de l’avis de Jeunet sur les humains qui deviennent esclaves de la technologie, et donc parfaitement abrutis.

Il y a d’ailleurs un rapprochement intéressant entre le discours de BigBug et le film de Mike Judge, Idiocracy, sur le fait que les êtres humains remettent trop de choses aux machines sans se rendre compte qu’ils régressent intellectuellement. À la différence près que Idiocracy est hilarant de vérité là où BigBug devient hilarant de malaise. Jeunet est un fervent admirateur de l’humour anglais mais demeure incapable de nous le transmettre en l’état. Et ceci ne concerne pas uniquement l’interminable introduction que nous nous efforçons de décortiquer depuis le début de la chronique, c’est un problème qui sera inhérent à tout le métrage. Quand vient le moment d’enfermer ses héros, Jeunet ne leur confère aucun enjeu mis à part celui de les faire céder à leurs instincts primaires. Selon Jeunet, si les humains viennent à être confinés par les machines, ils essaieront de coucher par tous les moyens. Le nivellement intellectuel vers le bas atteint de sérieuses profondeurs, c’est vraiment aberrant. Si d’aventure vous surviviez à la première heure, BigBug rehausse un peu le ton dès lors qu’il fait intervenir son antagoniste. Planté par un François Levantal qui s’amuse comme un gosse dans son costume de RoboCop diabolique, le robot Yonix confère à BigBug un vrai souffle d’air.

Tous les défauts décris ci-dessus se transforment en qualité… Pourquoi ? Parce qu’il y a des enjeux plus importants, qu’on y sent une vraie cohésion de groupe et un véritable amusement chez tous les comédiens. Quel dommage qu’il faille se farcir toute une exposition qui tourne lamentablement en rond alors qu’il suffisait de faire intervenir le méchant plus rapidement pour nous ravir. Ceci étant, on ne peut pas non plus blâmer les équipes techniques qui ont accompli un travail formidable tant sur les apparences des robots que sur l’étalonnage du film. Pour le coup, BigBug devient un parfait exemple pour quiconque souhaite régler les couleurs de son écran 4K. Visuellement c’est sublime. Très lisse, certes, mais pour de la science-fiction il en va de notre propre suspension d’incrédulité à accepter l’univers. BigBug c’est un peu ça : un très bel emballage bonbon qui renferme un dragibus double-couche qui déverse, dans un premier temps, un gros parfum de beurre bien gras à s’en faire exploser le cholestérol pour se terminer sur une note plus légère et douce, mais qui aura un goût de « trop peu » pour lui pardonner ses calories indécentes.

BigBug est clairement le film le plus mauvais de Jean-Pierre Jeunet. Ce n’est pas faute de l’avoir prévenu. Après avoir essuyé quatre ans de refus, il aurait du prêter un peu attention à l’odeur de fumier bien présente qui rodait au-dessus de son scénario. Consolons-nous en imaginant que les nouvelles générations risquent de découvrir le travail de Jeunet avec ce film. Si elles adhèrent, elles sont loin d’imaginer les innombrables claques qui les attendent dans la filmographie du bonhomme. Et rien que pour cela, congratulons-nous d’avoir des auteurs aussi importants que Jean-Pierre Jeunet dans notre industrie. BigBug est une sortie de route probante au regard de ses autres chefs d’œuvre, mais cela n’entache pas tout l’amour que nous continuerons à lui vouer. Et nous serons présents au prochain rendez-vous, peu importe que BigBug nous ait vraiment déçu.

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