Bloodthirsty : Une grosse soif pour un petit verre

Direction le Canada pour notre séance Shadowz du jour afin de rencontrer une jeune réalisatrice qui a de la suite dans les idées, Amelia Moses. Passionnée de films de genre, elle s’est lancée le défi d’explorer les anxiétés féminines par le biais de liens horrifiques. Son premier long-métrage, Bleed With Me, a été très remarqué dans son pays en 2018. Ce dernier, encore inédit chez nous, s’est retrouvé dans le corpus de la programmation d’une émission canadienne, Talent to Watch. Le film n’a pas trouvé son public, mais est resté dans les petits papiers des critiques qui y voyaient un fort potentiel. Il fallut attendre l’édition 2020 du Fantasia International Film Festival de Montréal pour que Bleed With Me se dévoile à un public plus large. Cette même année, Amelia Moses y présente également son second long-métrage, Bloodthirsty. Elle devra attendre 2021 pour que ses deux films puissent sortir officiellement en vidéo. Avec Bloodthirsty, Moses s’intéresse aux angoisses féminines via le prisme de la lycanthropie. Un projet ambitieux comme les équipes de Shadowz aiment encourager.

Grey est une chanteuse indépendante qui est en proie à des visions. Elle pense qu’elle est un loup. Lorsqu’elle reçoit une invitation à travailler avec le célèbre producteur de musique, Vaughn Daniels, dans son studio isolé dans les bois, elle commence à découvrir qui elle est vraiment.

Quand on pense film de loup-garou canadien avec une héroïne en tant que protagoniste principale, il n’y a pas cinquante exemples qui viennent en tête, on pense forcément au surprenant Ginger Snaps de John Fawcett. Superbe allégorie animale sur la puberté, Ginger Snaps était un film imparfait formellement, mais aux ambitions redoutables. Quand débarque Bloodthirsty, on ne peut que l’accueillir comme digne légataire du travail de Fawcett. Probablement issue d’une génération bercée aux films de Cronenberg, Amelia Moses s’inscrit directement au sein de cette mouvance de jeunes réalisatrices qui entendent montrer de quel bois elles se chauffent. Bloodthirsty s’ouvre sur une étrange dégustation de viande animale que ne renierait pas une certaine Julia Ducournau. Le rapport à la viande nous a systématiquement renvoyé vers Grave. Difficile de décortiquer entièrement les obsessions du film à la fin du premier visionnage. Pour tout vous avouer, nous avons du digérer le film pendant près d’une semaine afin de vous livrer notre ressentiment. Non pas que Bloodthirsty soit un film hyper complexe à comprendre. Seulement, nous sommes encore tiraillés entre une fascination encourageante qui adoube les idées de mise en scène et une répulsion certaine qui constate une certaine exécution « pantouflarde ». On ne sait pas vraiment quel sentiment assumer pleinement pour étoffer nos arguments. Bloodthirsty nous laisse dans un embarras délicat qui nous empêche de trier convenablement nos idées. Ainsi, nous allons tout vous déballer en vrac, histoire que vous partagiez notre désarrois.

Premièrement, il y a une vraie fascination de la part d’Amelia Moses pour les maquillages à l’ancienne. Fan assumée du Loup-Garou de Londres, elle prend un malin plaisir à transformer Lauren Beatty en monstre assoiffé de sang. Si les maquillages sont fortement réussis, en admirer le travail aura un goût de trop peu tant les apparitions de la bête manquent de présence à l’image. Bloodthirsty annonce la couleur très rapidement, il ne s’agira pas d’un simple film de loup-garou. Moses use et abuse d’allégories et sa figure du lycanthrope ne lui sert qu’à appuyer les pulsions qui habitent son héroïne. On ne saura jamais vraiment si Grey est en train de subir une métamorphose physique réelle ou si elle s’imagine prendre de l’assurance via de simples visions. La symbolique est forte et Lauren Beatty offre une palette de jeu incroyable. De femme fragile et timide elle devient une louve incontrôlable bien décidée à prendre sa vie en main. En revanche, il était inutile d’assister sur l’aspect malsain et dominant du producteur. Nous comprenons rapidement qu’il est un prédateur et qu’il va tout faire pour amener sa proie à devenir comme lui. L’insistance avec laquelle Amelia Moses veut que nous prenions peur de Vaughn frise l’overdose et confère tout l’inverse des sentiments recherchés.

Ce rapport de dualité entre fascination et répulsion sera au cœur de l’histoire, mais sera également l’état dans lequel le spectateur se retrouvera. Bloodthirsty entend verser dans l’horreur sociétal afin d’élever les débats. S’il y a une position qui consiste à vivement encourager ce genre de projets (surtout quand ils sont portés par des femmes, bien trop rares au poste de réalisatrice), on ne peut décemment pas crier au génie à tour de bras. Si nous citions Julia Ducournau ci-dessus ce n’était pas en vain. Tout comme elle, Amelia Moses fait preuve d’idées riches et fortes, mais a encore du chemin à parcourir pour côtoyer l’excellence. On ne peut pas non plus tirer impunément sur un projet fait avec un amour sincère du genre. Moses a assimilé ses classiques, il ne lui reste plus qu’à trouver comment en parler librement. Nous la sentons bien trop étriquée par un petit budget, l’envie de prouver sa légitimité ou encore le besoin d’explorer profondément la psyché féminine pour pleinement se libérer. Bloodthirsty manque d’audace et sonne terriblement académique dans le fond comme dans la forme. S’il y subsiste des moments de grâce incroyables, ils sont bien trop peu pour nous faire oublier un scénario qui tourne inlassablement en rond. Les enjeux sont trop faibles pour nous sustenter pleinement sur 90 minutes. Il s’installera un sentiment de déjà-vu probant qui gâchera l’enthousiasme au fil des minutes. Que c’est dur de constater autant de bonnes idées mêlées à un académisme barbant. Ceci explique notre ressenti en demi-teinte…

Amelia Moses parle de relation homosexuelle, de véganisme, de masculinité toxique, de dépression…autant de sujets qui méritent d’être triturés dans tous les sens pour en tirer toute la substantifique moelle propre à alimenter son moteur horrifique. Elle restera inlassablement en surface. Les idées fusent, elles sont bonnes, ne reste plus qu’à recentrer le tout pour nous sortir un prochain film surprenant. Bloodthirsty demeure un projet suffisamment réussi pour qu’on s’y arrête, et est surtout conseillé à celles et ceux qui désirent voir le film de genre par un prisme différent qu’un énième ersatz horrifique sauce Blumhouse. Si l’originalité n’est pas le maître-mot du projet, nous retiendrons surtout ses maquillages d’une grande qualité, le jeu impeccable de Lauren Beatty et le cran d’Amelia Moses d’assumer le film d’horreur sous l’égide de la déconstruction des anxiétés féminines.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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