Pourris Gâtés : L’oisiveté est la mère de tous les vices !

En matière de comédies populaires, le cinéma français peut se targuer d’en avoir pour tous les goûts. Du plus médiocre des nanars à la surprise insoupçonnée, difficile d’y entrevoir des distinguos bien distincts au cœur de l’océan de projets qui pullulent autant en vidéo qu’en salle. Il faut que vous sachiez, chers lecteurs, qu’au sein du planning de la rédaction chez Close-Up, nous sommes totalement libres des choix que nous proposons. Chacun choisit ce qu’il désire traiter, sans aucune obligation, nos rédacteurs en chef préférant laisser parler l’éclectisme des goûts de chacun. Ainsi, il arrive trop souvent de passer à côté de titres qu’on pourrait penser de « seconde zone » tant les pitches et/ou les affiches n’inaugurent rien de bien affriolant. Seulement, entre deux films massifs qui nous demandent parfois des efforts de recherche, nous faisons parti de ceux qui aiment se détendre devant une comédie légère. Si nous vous épargnons (le plus souvent) les océans de navets sans grand intérêt, nous nous congratulons d’y trouver certaines bonnes surprises à vous partager. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés face à la sortie en vidéo du dernier film de Nicolas Cuche, Pourris Gâtés. Sur le papier, le film rassemble tous les éléments « négatifs » susmentionnés : une affiche tape à l’œil qui n’inspire pas confiance, une histoire non-alambiquée s’appuyant sur des stéréotypes vieux comme le monde comme on adore les dévorer, mais avec lesquelles il est difficile de tirer une analyse pertinente…tout à fait le genre de défi que nous nous sommes empressés de relever.

Francis Bartek, veuf d’origine polonaise qui a fait fortune dans le BTP à Monaco en partant de rien, a deux fils, Philippe et Alexandre, et une fille, Stella. Les trois enfants, déjà bien adultes, ont tous des défauts. Alexandre n’a cessé d’être renvoyé de tous les établissements fréquentés depuis le secondaire et entretient des liaisons avec la femme et les deux filles du directeur de l’école supérieure où il végète. Philippe concocte projet farfelu sur projet farfelu et va en soirée plutôt que de rendre à son père le moindre service d’ordre professionnel. Enfin, Stella est une peste hautaine, dépensière et capricieuse qui veut se marier avec un bel Argentin oisif, Juan Carlos. Francis fait un infarctus lors de la réception d’anniversaire des 24 ans de sa fille quand il réalise que ses enfants sont des moins que rien. Lassé par leur comportement, il leur fait croire qu’ils sont totalement ruinés, les forçant ainsi à faire l’impensable : travailler.

Emmené par certains des nouveaux noms de la comédie française (Artus, Camille Lou, Tom Leeb, Louka Meliava), Pourris Gâtés fait office de passage de flambeau au travers le personnage de Gérard Jugnot. Un flambeau qui possède bien plus d’incandescence qu’on aurait pu le penser. En effet, s’il s’entête à jouer de tous les clichés possibles pour nous présenter ses personnages, ce n’est que pour mieux nous prendre au piège lors du second acte. Pourris Gâtés trouve un souffle inespéré lorsqu’il décide de confronter ses héros aux galères de la vie. Nous nous serions attendus à ce que le film continue de jouer la facilité pour amuser la galerie avec des gags éculés. Seulement, il crée la surprise en allant lorgner du côté de la tendresse et des blessures familiales. Il fait tomber les masques et vient autant nous prouver que le trio de tête possède de la ressource dramaturgique (qui ne demande qu’à se libérer) que Gérard Jugnot demeure un très grand acteur de comédie, mais est surtout dôté d’une aisance dramatique déconcertante. En l’espace d’un regard il parvient à faire passer toutes les séquelles d’une vie rongée par les remords, les regrets et la tristesse. Le film se retrouve à nous arracher de solides larmichettes là où nous espérions juste tuer le temps sans prétendre à du grand cinéma. Pourris Gâtés n’a pas valeur à prétendre être du grand cinéma, mais transpire l’amour du travail bien fait et aspire en tirer une morale universelle qui, si vous êtes parents, vous touchera nécessairement à un moment ou un autre. En ce sens, Pourris Gâtés gagne immédiatement ses galons pour trôner fièrement sur le haut du panier.

A dire vrai, Pourris Gâtés n’est pas si étonnant dans son fond lorsque l’on connaît un minimum le reste de la filmographie de Nicolas Cuche. Après s’être essayé à la comédie romantique pour La Chance de Ma Vie où il rendait merveilleusement grâce à la beauté de Virginie Efira, avoir osé importer des codes du film social au sein d’une histoire d’amour pour Prêt à Tout, il atteint le summum d’une certaine définition de l’amour à la télévision pour sa série Les Bracelets Rouges. Pour Pourris Gâtés, il déconstruit l’amour paternel et fraternel pour en tirer un regard malin sur les galères du quotidien. S’il n’y a pas une immense recherche dans les exemples qu’il cite pour modèle, on ne peut nier l’envie de divertir en souhaitant détourner les galères du quotidien des classes populaires. Nicolas Cuche constate et met en image les sempiternelles conversations qui reviennent sans cesse au cours des repas familiaux : le coût exorbitant de la vie, la pénibilité du travail, l’attachement aux souvenirs qui nous ont forgé… Cuche prend des images symboliques et fortes pour étoffer autant ses ressorts comiques que dramatiques. Il parvient à mélanger les deux genres sans jamais les dénaturer, preuve d’une comédie réussie. De plus, il ne s’embourbe pas dans les images faciles pour critiquer la misère, à l’instar du chauffeur de touk-touk qui se lie d’amitié avec Philippe au sein du film. Ce dernier est issu des banlieues difficiles de Marseille et aurait pu facilement tomber dans le dérisoire, mais est superbement rattrapé par le scénario de Cuche qui lui confère bien plus de valeur qu’un simple comic-relief.

Pourris Gâtés est le genre de comédie qui parvient autant à émouvoir qu’à divertir. Gérard Jugnot prouve qu’il a encore de la ressource et les jeunes comédiens détonnent de charisme et d’atouts, Tom Leeb (fils de Michel) en tête qui assure parfaitement en tête à claque argentine. Nicolas Cuche prouve, une nouvelle fois, qu’il est un solide artisan avec un discours bien plus creusé qu’on veut bien lui accorder. Pourris Gâtés est la bonne surprise française de nos bacs vidéos de ce début d’année.

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