Presque : Quand deux âmes se rencontrent…

Si l’acceptation d’autrui et l’inclusion des personnes handicapées au sein de la société sont des combats de tous les jours, le cinéma tente, depuis quelques années, de sensibiliser le grand public à ces causes. S’il y a eu les grands drames américains (Freaks, Elephant Man, Né Un 4 Juillet, Gilbert Grape), c’est avant tout par le biais d’un discours plus léger tentant de dépasser l’inévitable pathos qu’un tel sujet pourrait amener que les auteurs ont toujours essayé de tirer leur épingle du jeu. De Rain Man à Forrest Gump en passant par le plus confidentiel Inside I’m Dancing ou encore le tendre et surprenant The Sessions et l’irrésistible The Fundamentals of Caring, le handicap est un sujet qui intéresse énormément le cinéma américain. Pour ce qui est du cinéma francophone, les choix demeurent plus restreints. Impossible de ne pas citer le (toujours) bouleversant Huitième Jour de Jaco Van Dormael qui nous introduisait la Trisomie 21 avec une poésie et une délicatesse inégalables. Seulement, par chez nous, le handicap ne sort véritablement de l’ombre que depuis quelques années, très souvent pour le meilleur (Intouchables, Hors Normes, Patients, La Famille Bélier) et parfois pour le pire du pire (Tout Le Monde Debout). Ainsi, Presque sort dans un contexte où l’on estime que le public a déjà fait son travail d’acceptation et où l’on se doit de lui réserver un schéma différent de celui qu’on lui a donné auparavant.

Louis est croque-mort à Lausanne et mène une vie monotone rythmée par les nombreux décès qui englobent tout son temps. Tourmenté par une douloureuse séparation avec son ex-compagne, il n’a plus goût à rien et accomplit son travail mécaniquement sans aucun état d’âme. Louis rencontre Igor, une personne handicapée, après un accident de la route. Par un concours de circonstances, ils décident d’effectuer un road trip dans un corbillard contenant la dépouille de Madeleine que Louis est chargé d’amener jusque dans le sud de la France. Louis et Igor se connaissent peu, ont peu de choses en commun, du moins le croient-ils…

Écrit et réalisé par Bernard Campan et Alexandre Jollien (avec l’appui de Hélène Grémillon à l’écriture), Presque calque son tempo dramatique sur celui du Huitième Jour. D’un côté, nous avons un protagoniste qui a réussi dans la vie, mais qui n’exprime plus aucune joie. D’un autre, nous avons un personnage qui doit se battre perpétuellement pour exister et qui est heureux de vivre malgré tout. Le choc de leur rencontre va tout remettre en perspective. Alexandre Jollien, écrivain et philosophe suisse, nous fait part de son parcours de vie afin de camper Igor. L’acteur en herbe embrasse sans détour tous les problèmes inhérents à son infirmité motrice cérébrale avec un aplomb déconcertant. Nul besoin de verser dans le pathétique et l’apitoiement, Jollien laisse parler les actes à sa place. Handicapé suite à un étranglement de son cordon ombilical, il a toujours étudié pour prendre le plus de recul nécessaire sur son état. Ses nombreux écrits, sa retraite à Séoul pour approfondir sa pratique de la méditation zen et sa quête de connaissance des Évangiles lui ont donné un esprit aussi vif que sage sur le monde qui l’entoure. Dans Presque, il revient à la source de ses questions afin d’y dresser un bilan sur l’homme qu’il est devenu. Il propulse son personnage dans un quotidien somme toute banal : Igor est heureux d’avoir trouvé un emploi de livreur de légumes. Il essuie refus sur refus lorsqu’il essaie d’avoir des interactions sociales avec ses collègues de boulot et trouve refuge dans la lecture des plus grands philosophes (Platon, Spinoza, Nietzsche…). Il ne s’avoue jamais vaincu lorsqu’on ne veut pas avoir affaire à lui et va toujours chercher le contact d’autrui dans l’espoir de trouver son alter-ego. Louis n’était pas forcément le genre d’ami qu’il espérait se faire, et pourtant les deux hommes vont entamer une route cathartique qui leur sera bénéfique à tous les deux.

Pour ce faire, Campan et Jollien plongent les deux héros dans des situations quelconques de la vie quotidienne pour en tirer le meilleur des discours. Et cela fonctionne du tonnerre. Nous sommes embarqués dans un road trip décapant qui va aborder le plus simplement du monde toutes les thématiques qui rendent les liens sociaux entre individus aussi riche et précieux. De l’attirance physique à l’amour en passant par le sexe, la liberté, le pardon et l’amitié, Presque brasse un éventail de sujets aussi large que passionnant. Bernard Campan n’a plus à prouver qu’il est à l’aise avec ce genre d’exercice (Se Souvenir Des Belles Choses, Le Cœur des Hommes, Combien Tu M’aimes ?). S’il étonne par une aisance incroyable, c’est avant tout son humilité qui transparaît au long du film. Il se sert de son expérience pour élever son partenaire de jeu. Il lui offre les meilleures scènes, les meilleures répliques, les meilleurs cadrages. On le sent indéniablement sensibilisé à la cause de son comparse. Quand bien même le pathos n’est jamais au cœur de la note d’intention du film, il y a des parenthèses où le tragique prend le pas sur la bonne humeur du métrage. Seulement, Presque parvient à toucher la corde sensible sans jamais en faire des tonnes, preuve d’une humilité certaine et d’un recul énorme dont fait preuve Alexandre Jollien sur son parcours de vie. L’épilogue du film laissera nos deux héros dans une imagerie pure où les corps sont mis à nu sans distinction de classe sociale ou de handicap. Presque brise toutes les barrières pour nous ramener à notre simple condition humaine. De la différence entre deux individus est née une connexion noble et sans artifice. Presque nous amène à revoir notre comportement en société, à ne pas hésiter à tendre la main à son prochain et à se laisser porter par le vécu de chacun. Le film de Campan et de Jollien est rempli de bienveillance, c’est une sacré bulle d’air qui fait sacrément du bien par où elle passe.

Presque est un coup de cœur massif, il ne saurait en être autrement. Le film transpire de générosité au travers toutes les thématiques qu’il aborde. S’il n’avait pas besoin de ce film pour crier sa vérité et sa rage de vivre, force est de constater qu’Alexandre Jollien s’est offert la plus belle des thérapies avec son film : celle d’affirmer son droit de jouir de tous les plaisirs simple de la vie avec bonhomie, humilité et un partage incommensurable. Presque est un bonbon délicieux, à la fois gourmand et délicat, un bonheur aussi simple que pur.

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