Pil : La vie de château, très peu pour elle

On ne le répétera jamais assez, la France possède un solide berceau en matière de studios d’animation. S’il arrive, depuis quelques années, qu’un film sorte du lot et vienne conquérir le cœur du grand public, l’animation reste beaucoup trop cantonnée aux majors américaines. Il faut dire que les studios Disney, Pixar et Dreamworks trustent depuis de longues années le haut des classements des box-offices. Alors, quand le studio toulousain TAT Productions se voit offrir une visibilité plutôt conséquente, nous ne nous sommes pas privés pour aller zieuter ce que peut produire la ville rose, berceau de Claude Nougaro. Fondés en 2000 par David Alaux, Eric Tosti et Jean-François Tosti, les studios TAT Productions sont les papas des séries animées Les As de la Jungle ainsi que du long-métrage dérivé de la série, sorti en 2017. Eric Tosti confirme les qualités des studios avec Terra Willy en 2019 et leur permet de se voir offrir un budget de 10 millions d’euros pour la production de Pil. Distribué dans une trentaine de pays, le film s’est aussi montré au Festival de Cannes ainsi qu’à la Berlinale. De quoi étendre le savoir-faire des équipes de passionnés qui opèrent au sein de TAT Productions. Sorti en vidéo en fin d’année dernière, Pil se (re)voit désormais en DVD chez M6 Video.

Pil, une petite orpheline, vit dans la cité médiévale de Roc-en-Brume, avec trois fouines qu’elle a apprivoisées. Elle survit en volant de la nourriture du château du régent Tristan qui a pour projet d’usurper le trône. Alors que Tristan essaie d’empoisonner l’héritier légitime, Roland, ce dernier est accidentellement transformé en « chapoul », une créature moitié chat, moitié poule. De son côté, afin d’échapper aux gardes, Pil endosse un costume de princesse. Elle se retrouve, contre son gré, prise dans une aventure à la recherche de Roland.

Film d’animation entièrement supervisé en 3D, Pil fait office de vitrine actuellement pour les studios TAT Productions. Il a énormément séduit à l’étranger ainsi que les grandes compétitions, allant jusqu’à se faire connaître de l’Académie des Césars pour espérer concourir au sein de la cérémonie de 2022. Le film, réalisé par Julien Fournet, n’est pas exempt de défauts. S’il possède une énergie folle et une envie de prouver le talent des animateurs qui se cachent derrière sa production, Pil n’est en rien un film inoubliable. Loin de nous l’idée de taper gratuitement sur un film d’animation 100% français (cela nous fait même plutôt mal), mais il ne faut pas nier l’évidence que Pil est largement perfectible sur bien des points. A commencer par son animation. Si elle séduit dans son ouverture, offrant des espaces bien définis et des personnages bien animés, on sera très vite interloqué par le manque de profondeur des paysages. Que c’est pauvre et triste. Certes, le petit budget ne peut permettre qu’on dépense inutilement pour assurer des arrière-plans détaillés, mais nous aurions aimé un soin irréprochable sur les éléments en premier plan, ce qui ne sera pas toujours le cas. Pil fait extrêmement daté dans sa forme, on se croirait revenu en 2001 pour la sortie de Shrek. Une fois encore, sachons raison garder et comparons ce qui est comparable, mais sachez également à quoi vous attendre. De plus, il y a un manque de fluidité probant dans le déplacement des personnages, et particulièrement lors des courses-poursuites. Pil loupe le coche de l’éblouissement plastique. Si nous nous y attendions quelque peu, nous nous sommes lancés dans la lecture du film pour y découvrir une histoire malicieuse, avec des personnages forts et au caractère bien trempé.

Il faut bien avouer que Pil déçoit également sur le fond. S’il caractérise parfaitement son héroïne lors de son prologue, le film lâchera rapidement sa note d’intention pour s’embourber dans une énième sempiternelle histoire de princesse. On peut bien nous faire avaler ce qu’on veut, jusqu’à le mentionner sur l’affiche, Pil est une princesse. Certes, elle ne l’est pas dans la pure tradition des codes, mais son modernisme et son aspect rebelle ne suffisent pas à lui enlever cette étiquette qu’elle se collera au fil de son aventure. S’il prône l’indépendance féminine et la fragilité de l’enfance privée de foyer, Pil ne confère jamais à son héroïne le répondant nécessaire pour la faire grandir et briser les stéréotypes inhérents à ce genre de récit. On lui alloue un comic-relief à peine aussi intéressant que ses vannes indigentes. Le vilain est méchant, il est un personnage fonction (comme beaucoup d’autres) et n’est jamais caractérisé autrement. Quant au « chapoul », il s’en est fallut de peu pour que Disney ne vienne pas lui coller un procès pour plagiat tant l’ombre de Hei-Hei (Vaiana) plane au-dessus de la créature. S’il y avait une carte originale à jouer, c’était bien dans l’apport de substance lors de l’écriture. En résulte un film aux enjeux éculés, qui distraira les enfants (c’est certain), mais qui laissera les adultes sur le carreau tant il n’y a rien de nouveau à se mettre sous la dent. Quel dommage, la France sait et peut proposer bien mieux. Pil nous a vraiment déçu.

Pil est un film d’animation qui ne sort jamais d’un terrain sévèrement balisé. L’animation possède des lacunes (qu’on ne peut blâmer complètement compte-tenu de son budget) là où son histoire ne nous emmène jamais ailleurs qu’en territoire conquis d’avance. Rien de bien neuf à se mettre sous la dent. Ceci étant, s’il continue de séduire à l’étranger, nous pourrons éventuellement nous congratuler d’un meilleur investissement budgétaire pour les futures productions des studios toulousains qui ont parfaitement l’étoffe pour réaliser de belles et grandes choses. Wait & see…

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