
Scénariste attitré de Joachim Trier, Eskil Vogt mène en parallèle une carrière de réalisateur commencée en 2014 avec l’étonnant Blind. Le voilà qui repasse une deuxième fois derrière la caméra pour The Innocents, un film sur l’enfance doublé d’un film de genre. Un tel mélange qui ne peut que surprendre, surtout de la part d’un artiste qui refuse la facilité et aime à jouer sur l’ambiguïté…

C’est l’été dans une résidence entourée par la forêt. La jeune Ida vient d’emménager avec ses parents et Anna, sa grande sœur autiste accaparant toute l’attention parentale. En se promenant dans les parcs entourant la résidence, Ida rencontre Ben et Aisha. En jouant et en testant leurs limites, loin du regard des adultes, les quatre enfants se découvrent d’étonnants pouvoirs mais ce qui commence comme un jeu prend très vite une tournure inquiétante…
Difficile d’en dire plus sur le récit sans en déflorer toute la saveur. Disons simplement qu’Eskil Vogt ne fait pas les choses à moitié et qu’il ne se permet aucune concession. Si l’argument fantastique est maîtrisé par Vogt, il ne s’agit pourtant que d’un prétexte, d’une bonne excuse pour explorer de façon plus exacerbée ce vaste territoire d’apprentissage qu’est l’enfance, où l’on expérimente des choses sans pour autant toujours réaliser la cruauté qui se niche derrière, où nos rapports du bien et du mal n’existent pas encore de façon bien définie. En effet, dans le fond The Innocents se moque bien des pouvoirs des enfants et ne s’encombre pas d’une quelconque explication. Ce qui compte pour Vogt, c’est de capter l’enfance dans son entièreté, dans ce qu’elle a de plus pur et innocent certes mais également dans ce qu’elle a de plus cruelle. Il suffit en effet d’observer une cour de récréation pour se rendre compte que ces chers bambins aux bouilles adorables peuvent agir avec une cruauté sans nom sans pour autant se rendre compte de ce qu’elle implique.

Un constat que le film effectue dès le départ où Ida, jalouse de sa sœur, n’hésite pas à la pincer ou à mettre un morceau de verre dans sa chaussure en sachant très bien qu’elle ne pourra rien dire, se vengeant ainsi de toute l’attention parentale qu’elle requiert. On comprend alors rapidement que The Innocents ne reculera devant rien et n’hésitera pas à malmener ses personnages d’enfants dès lors que le récit l’exige. On passera donc tout le film crispés, terrifiés à l’idée du pire et Vogt en a bien conscience, jouant à la fois avec nos peurs et nos attentes sans jamais en faire trop, beaucoup plus intéressé par son portrait en zones d’ombres de quatre enfants plutôt que par l’idée de faire un pur film de genre. Sa démarche est aussi ambitieuse que louable et fait son petit effet lorsque le film nous montre les conséquences d’un jeu étant allé trop loin même si cela n’empêche pas l’ensemble de se parer d’une certaine froideur où l’on peine à réellement avoir de l’empathie pour les personnages et où l’on observe tout le récit avec un regard extérieur plutôt qu’avec une réelle implication émotionnelle.
Un défaut qui n’empêche pas le film d’être réussi à de nombreux points de vue, sa mise en scène s’accordant avec une belle alchimie à ses thématiques avec une belle économie de moyens. De mémoire de cinéphile, on aura rarement vu (sauf peut-être dans Les Innocents de Jack Clayton, à qui le film emprunte le titre) des enfants filmés avec un regard aussi juste dans le cinéma de genre, loin des clichés et avec une vraie caractérisation les rendant aussi attendrissants que terrifiants. Une découverte à faire donc, à moins que vous ne soyez parents et que vous préfériez garder sur vos charmantes têtes blondes un regard plein de tendresse…
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