
Loin de nous l’idée de transformer nos éditos en rubriques nécrologiques mais il nous est difficile de ne pas parler de la perte tragique de l’acteur Gaspard Ulliel mercredi dernier, l’acteur étant décédé des suites d’un accident de ski. Une nouvelle inattendue, tombée comme un couperet qui a profondément bouleversé tout le cinéma français. Impensable, à seulement 37 ans et encore toute une formidable carrière devant soi, de mourir. Il a fallu parcourir encore et encore tous les articles déclarant son décès pour tenter d’en appréhender la réalité, pour être certain qu’il ne s’agissait pas d’une fake news. C’est pourtant vrai, Gaspard Ulliel est mort. Quelle tristesse d’écrire cette phrase, quelle injustice de se dire que la vie l’a quitté alors qu’il avait encore tant à donner.
Il s’agit d’une disparition cruelle, à laquelle on ne peut appliquer de logique et à laquelle il est difficile de se faire une raison. Il est toujours triste de voir disparaître un acteur ou un cinéaste que l’on aime. Certes, on ne le connaît pas personnellement, si ce n’est à travers ses interprétations ou ses œuvres et il est parfois compliqué d’expliquer cet amour nous liant à tel ou tel artiste, il est au fond irrationnel, le fruit d’une illusion joliment entretenue par un grand écran. Et pourtant il ne nous est pas rare de pleurer ou d’être profondément bouleversé quand on apprend le décès d’un artiste que l’on aimait. Mais il y a souvent dans ces disparitions une certaine logique : nous avons pleuré Sean Connery, Bertrand Tavernier et Jean-Paul Belmondo mais ils étaient âgés, ils avaient déjà tant donné au cinéma. Dans le cas de Gaspard Ulliel, on se retrouve face au même vide éprouvé aux décès de Philip Seymour Hoffman ou Anton Yelchin : un sentiment de perte doublé de celui de gâchis. Gâchis d’une carrière artistique qui ne se sera jamais totalement accomplie, qui restera tristement inachevée avec une sensation, toujours la même, quand on revoit ces artistes dans un film : mais pourquoi est-il parti si tôt ? Il y avait encore tant de rôles à jouer, tant de choses à nous offrir…
Gaspard Ulliel avait une présence singulière dans le cinéma français et celui-ci a un énorme vide depuis qu’il est parti. Ulliel, c’était d’abord un visage marqué par une cicatrice, un regard perçant, une voix rassurante derrière laquelle on pouvait sentir de la tendresse ou de la tristesse. C’était un magnétisme étonnant qui lui permettait même de jouer Hannibal Lecter avec une part d’humanité (le film était mauvais, pas lui). Il n’y avait personne comme lui : bourré de talent mais discret, humble et mystérieux, on sentait derrière sa sensibilité et sa gentillesse une part d’ombre, une profonde mélancolie que certains cinéastes ont tâché d’explorer. Deux rôles mémorables resteront : celui d’Yves Saint Laurent dans le film de Bertrand Bonello et celui de Louis dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan qui lui vaudra le César du Meilleur Acteur. Un rôle qui prend une drôle de tournure, presque prophétique maintenant qu’Ulliel est décédé : il y interprète un homme venu annoncer à sa famille sa mort prochaine. Il sera désormais impossible de voir le film sans faire ce triste parallèle et en être bouleversé. Il n’y a pas de mots pour expliquer une perte pareille, autant laisser ceux de Jean-Luc Lagarce (lui aussi parti trop tôt, à 38 ans), auteur de la pièce Juste la fin du monde, clore cet édito :
‘’Au début, ce que l’on croit
– j’ai cru cela –
ce qu’on croit toujours, je l’imagine,
c’est rassurant, c’est pour avoir moins peur,
on se répète à soi-même cette solution comme aux enfants qu’on endort,
ce qu’on croit un instant,
on l’espère,
c’est que le reste du monde disparaîtra avec soi,
que le reste du monde pourrait disparaître avec soi,
s’éteindre, s’engloutir et ne plus me survivre.
Tous partir avec moi et m’accompagner et ne plus jamais revenir.
Que je les emporte et que je ne sois pas seul.’’
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