L’échine Du Diable : Poésie du macabre et affres de la guerre civile

S’il fait indéniablement parti des réalisateurs qui comptent désormais, il est toujours bon de revenir aux racines du cinéma de Guillermo Del Toro. Simple coup de chance ou réel talent ? C’est un débat qui fait rage entre les admirateurs et les détracteurs du célèbre réalisateur mexicain. D’aucuns s’accordent à dire que tout était déjà présent dès son premier long-métrage, Cronos, sorti en 1993 quand d’autres y voient son explosion en 2001 avec L’échine Du Diable. Seul projet séparant ces deux films, Mimic en 1997, solide série B qui mérite d’être évoquée, bien que sa posture de film de vidéo-club l’ait allégrement exclue des débats au fil des années. Sans donner l’air de ne pas prendre parti, nous sommes plutôt d’avis à penser que L’échine Du Diable synthétise à la fois la poésie de Cronos avec les envies de séries B de Mimic. Seulement, une chose est certaine, tout ce que renferme ce troisième long-métrage de Del Toro préfigure ce qui fera sa patte pour les années à venir. L’échine Du Diable se redécouvre dans un sublime écrin restauré en 2K et supervisé par Guillermo Del Toro et son directeur de la photographie, Guillermo Navarro. Disponible chez Carlotta dans leur édition livret ultra collector limitée à 3000 exemplaires ainsi qu’en blu-ray simple, faisons un petit retour sur ce que représente ce film autant dans la carrière de Del Toro que pour l’impact que ce dernier a eu sur le cinéma fantastique espagnol des années 2000.

Alors que la guerre civile déchire l’Espagne, le jeune Carlos trouve refuge à Santa Lucia, un orphelinat perdu dans la campagne et dirigé par Mme Carmen. A la nuit tombée, le garçon est mis au défi par ses camarades : il doit traverser la cour de l’établissement pour se rendre à la cuisine, l’obligeant à passer devant la maison du gardien, l’antipathique Jacinto. Une fois sur place, Carlos entend d’étranges soupirs et découvre dans le sous-sol de la bâtisse le fantôme d’un enfant mutilé.

Lauréat du Prix du Jury, du Prix de la Critique et du Prix du Jury Jeune lors du Festival International du Film Fantastique de Gérarmer en 2002, raflant également d’autres récompenses lors des festivals d’Amsterdam ou des MTV Movies Awards la même année, L’échine Du Diable brasse une ribambelle de thèmes chers à Del Toro. Tout d’abord l’aspect historique qui revient sur une période difficile de l’Histoire espagnole. En décidant de placer son récit lors de la guerre civile espagnole, Del Toro s’offre des thématiques en or parmi lesquelles celles qu’il chérit par-dessus tout : l’honneur, l’amour, la vengeance et la tentation. L’aspect historique ne sert pas seulement d’habillage au récit, il lui confère toute sa force. D’abord dérouté, ne sachant pas vraiment vers où le film nous mène, L’échine Du Diable bat ses cartes avec parcimonie. Des propres aveux de Del Toro, il cherche à rendre magnifique, spectaculaire ou émouvant ce qui a pu effrayer son spectateur autrefois. S’il atteindra le paroxysme de sa démarche en 2006 pour Le Labyrinthe de Pan, L’échine Du Diable prend nettement plus aux tripes. Plus authentique, plus terre à terre, plus vrai que ce qu’il fera en 2006, L’échine Du Diable a cette particularité de rendre vraisemblable son incursion fantastique dans son récit. L’histoire de fantôme ne sert qu’à brouiller les pistes et les véritables enjeux. Del Toro nous détourne du vrai détracteur de son histoire le plus possible dans le but de nous prendre d’affection pour ses personnages. Pari hautement réussit puisque nous nous attachons à la véracité qu’il se dégage de l’ensemble du jeune casting.

L’échine Du Diable peut se targuer d’avoir l’un des meilleurs castings d’enfants vu depuis des lustres au cinéma. Del Toro les définit par un trait physique ou psychique unique. Il les réunit par leur posture d’orphelins et leur besoin d’être portés par des adultes de confiance. En ce sens, saluons l’immense prestation de Federico Luppi qui prend soin de tous les enfants comme de ses propres petits. Seule figure paternelle du film, il est le vecteur d’émotions, le passeur de flambeau, l’autorité et l’amour réunit en une seule entité. Entre l’innocence des enfants et la figure paternelle protectrice se dresse la fougue, la hargne et la désillusion adolescente. Jacinto, qui se révèle au fil des scènes comme une figure maléfique indécrottable, est admirablement supplanté par Eduardo Noriega qui arrive à sombrer dans la folie avec une parcimonie folle. On ne le définit pas immédiatement comme bourreau ultime du projet, et pourtant il endosse le rôle avec une aisance incroyable. Bien évidemment, les catégories de personnages englobent chacune une des figure de la Sainte Trinité. La religion catholique a une importance prépondérante au sein du film. Del Toro respecte la religion autant qu’il ne se prive pas pour lui coller ses revers de la médaille. Seulement, il y a son approche et sa compréhension d’un univers gothique particulier qui rend le tout tellement poétique. Des horreurs se jouent à l’écran, et pourtant on ne peut pas s’empêcher de s’y sentir bien. Ce bien-être transparaît au cœur de la figure fantomatique. Jamais Del Toro ne la filme comme une menace. Le fantôme est la clé de l’énigme, la catharsis offerte sans retenue qui sera seule juge de qui mérite la rédemption et qui mérite un jugement en bonne et due forme. Avec cette incursion fantastique atypique, Del Toro se posait en maître sur tout le cinéma fantastique espagnol qui a découlé ensuite. L’échine Du Diable est la source de toute une panoplie de films parmi lesquels nous retiendrons L’orphelinat, Mama, Les Autres et Darkness comme étant les meilleures copies de ce dernier.

L’échine Du Diable est un chef d’œuvre d’onirisme qui s’appuie sur les traumas de l’histoire de tout un pays pour y faire briller toute sa substantifique moelle. Il est à découvrir pour la première fois en blu-ray en France dans une sublime édition disponible chez Carlotta. Le master est d’une beauté sans pareil et les nombreux bonus ainsi qu’un livret édifiant de 200 pages pour l’édition collector vous permettront d’approfondir vos connaissances et d’ainsi percer tous les secrets de ce film de Del Toro qui renferme tous les meilleurs atouts de son cinéma : beauté du cadre, incursion mélancolique du fantastique, acteurs en or et violence sans concession. Une œuvre à posséder de toute urgence !

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*