Michael Cimino, un mirage américain : Voyage spectral

Grand érudit du cinéma et notamment du cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret a toujours nourri une passion pour Michael Cimino, cinéaste sur lequel il travaille depuis des années. En 2010, Thoret avait été à la rencontre de Cimino et ils s’étaient lancés tous les deux dans un voyage en voiture à la découverte de l’Ouest américain de Cimino (le seul moyen de comprendre ses films étant de voir les paysages où ils avaient été tournés, de l’aveu même du cinéaste). Tout le long du voyage, Thoret a enregistré la voix de Cimino et en avait tiré un livre en 2013 intitulé Michael Cimino, les voix perdues de l’Amérique. Gardant toujours ces précieux enregistrements, Thoret a décidé de les utiliser au sein d’un film documentaire pour Arte mais la chaîne a rejeté la première vision du réalisateur. Thoret a donc livré sa copie avec Michael Cimino : God Bless America, documentaire d’une cinquantaine de minutes loin de correspondre à ce qu’il souhaitait faire. À partir des mêmes rushes (les films doivent partager une vingtaine de minutes en commun), Thoret s’est donc remis au travail et a pu livrer ce qu’il désirait faire. C’est ainsi qu’est né Michael Cimino, un mirage américain, en salles le 19 janvier sous la houlette de Lost Films et d’une durée de 2h11.

C’est avec bonheur que nous accueillons le film car nous étions en effet sortis frustrés de la découverte de God Bless America qui nous semblait loin d’être complet sur le cinéaste tout en esquissant un portrait passionnant. De fait Michael Cimino, un mirage américain est autant un portrait de Cimino que de l’Amérique, celle du cinéaste, devenue fantôme. La première partie du film s’attarde longuement sur la ville de Mingo Junction dans l’Ohio, dans laquelle Voyage au bout de l’enfer a été tourné. L’occasion de saisir son évolution et de faire un constat amer : la ville est quasiment déserte depuis que son usine a fermé, vivant sur les souvenirs de ce tournage et de ce film qui a parfaitement capté l’esprit de cette communauté, un esprit presque disparu dont la réminiscence se trouve dans les témoignages de ses habitants, conscients d’être abandonnés par le reste du pays, fiers d’avoir participé à un morceau d’anthologie du cinéma américain mais désormais condamnés à se nourrir de souvenir pour égayer une existence faisant grise mine.

Thoret prend le temps de s’attarder à Mingo Junction avant de reprendre la route (comme il l’avait fait pour We Blew It), accompagné par la voix de Cimino. Tout en allant rencontrer Oliver Stone, James Toback, Quentin Tarantino ou encore John Savage, Jean-Baptiste Thoret taille la route et dans chaque paysage qu’il filme semble se nicher le fantôme de Michael Cimino. À mesure que les lieux se dévoilent, le personnage de Cimino se densifie. Trop souvent résumé à l’échec retentissant de La Porte du Paradis après le succès éclatant de Voyage au bout de l’enfer, la carrière du cinéaste mérite que l’on s’y attarde d’un œil attentif et celui de Jean-Baptiste Thoret est le mieux placé pour nous guider.

Se dessine alors le portrait d’un artiste refusant les concessions (ce que Oliver Stone lui reproche d’ailleurs), se sentant proche du personnage incarné par Gary Cooper dans Le Rebelle de King Vidor, un film dont il aura longtemps voulu faire un remake. En effet, Cimino était du genre à préférer refuser de faire un film si toutes les conditions nécessaires à l’accomplissement de sa vision n’étaient pas réunies. Mais dans le même temps, le réalisateur avoue qu’il se serait senti bien dans le Hollywood de l’âge d’or, à être sous contrat pour les studios et à tourner trois films par an.

Défini par une immense part de nostalgie (‘’faire du cinéma, c’est inventer une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé’’ dit-il), Cimino a la particularité de n’avoir jamais réellement appartenu à son époque, personnage fasciné par le passé, en retard comparé à ses modèles (John Ford notamment), réalisateur singulier qui n’avait pas d’égal contemporain. Ce n’est pas pour rien que les personnages de ses films sont régulièrement en retard : ils sont à l’image du cinéaste qui, même en réalisant deux des films américains les plus importants de ces quarante dernières années, n’a jamais réellement trouvé sa place, comme arrivant après une époque faite pour leur correspondre. Dans l’excellent L’année du dragon, le personnage de flic incarné par Mickey Rourke ira jusqu’à dire une phrase que l’on pourrait attribuer à Cimino et qui résume parfaitement le cinéaste : ‘’je poursuis quelque chose qui n’existe pas’’.

Empreint d’une saisissante mélancolie, le film de Jean-Baptiste Thoret est traversé par des fantômes, celui de Cimino d’abord dont la voix surgie d’outre-tombe provoque une vive émotion mais aussi celui de l’Amérique et de ses idéaux, piétinés, laissant le pays meurtri, des meurtrissures que Cimino aura à cœur de filmer. Michael Cimino, un mirage américain émeut et invite au voyage, celui qui nous pousse à revoir encore et encore les films de Cimino pour le comprendre, pour être bouleversé et pour le regretter aussi tant il avait encore une multitude de films en lui. Reste heureusement ceux qu’il a fait, inscrits à jamais dans l’histoire du cinéma.

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  1. Édito – Semaine 3 -

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