Residue : Quand l’héritage n’est qu’un résidu de son histoire.

En ce début d’année, le grand écran accueille le tout premier long-métrage de Merawi Gerima, Residue. Un film qui traite de l’héritage noir sur notre culture actuelle et de la gentrification des quartiers populaires aux États-Unis, et plus précisément à Washington D.C.. Né de parents cinéastes, c’est assez naturellement que le cinéma s’est imposé au réalisateur comme un média de poids pour faire passer sa colère et son incompréhension de certaines problématiques sociales. Après avoir quitté son quartier de Washington étant petit, Jay (joué par Obi Nwachukwu dans le présent et JaCary Dye lorsqu’il est petit) décide d’y retourner des années plus tard. Le paysage est marqué par la nouveauté et la gentrification. Il ne se retrouve plus dans l’ambiance de ce quartier qu’il chérissait tant et part à la recherche désespérée de ses vieux repères.

Sur la forme, Residue est impeccable. La réalisation est vraiment soignée et la mise en scène plutôt ingénieuse en jouant sur les différentes temporalités et espace-temps. Le film s’offre presque comme une sorte de docu-fiction, pourtant intégralement scénarisé, mais avec cette véracité de faits qui le rend plus biographique qu’il ne semble simplement l’être. La narration est fluide malgré le changement récurrent de temporalité, et l’histoire, d’abord complexe, devient complète et assez claire. Ce qui n’est pas chose aisée lorsque l’on incorpore différente temporalités dans un film. Ici pourtant c’est assez limpide et les scènes du passé procurent un vrai sentiment de nostalgie ressenti. On se sent atteint par son passé et l’affect que lui procure son souvenir. C’est tendre et beau à la fois. Par ailleurs la mise en scène est claire, propre. On sent Merawi Gerima en parfaite maîtrise de son média et ce, sous toutes ses formes puisqu’il est crédité réalisateur, scénariste, producteur, ingé son et monteur. Son casting est impeccable et Obi Nwachukwu interprète parfaitement l’angoisse de sa situation en proie entre l’acceptation forcée de la nouvelle société dans laquelle il va vivre et le refus irrépressible de se soumettre à une vie quotidienne qu’il ne cautionne pas.

Cependant, son propos est, à bien des égards, très tendancieux. Le questionnement profond sur l’héritage de la haine raciale est intéressante quoiqu’il finit par se perdre dans un discours hypocrite et personnel en mélangeant des problématiques qui n’ont rien à voir avec la couleur de peau. Le cinéaste ne cache pas sa colère face à la gentrification blanche de l’un des quartiers dans lequel il a grandi étant petit. Le vrai problème vient surtout de l’énorme imbroglio dans lequel il semble supposer que tout blanc partage l’idéologie suprémaciste, voire pire, en est un. Une notion qui est forcément plus difficile à cerner en France où l’électorat d’extrême droite, bien que suffisamment présent pour faire accéder sa candidate (ou son ex-candidat) au second tour à plusieurs reprises, est très loin d’être unanimement raciste, contrairement à ce que les médias prétendent en continu. La gentrification de la société n’est pourtant pas un problème uniquement lié aux blancs et surtout qui n’a pas qu’un seul facteur de causalité. Tout d’abord il y a une montée du communautarisme qui se fait depuis maintenant des générations et des générations. Une problématique d’ailleurs plutôt bien décrite par Spike Lee dans Do the right thing. On peut également penser aux émeutes de 1992 à Los Angeles où certaines communautés se sont entre-déchirées, voire en ont profité pour régler leurs comptes. Il est clair qu’il est préférable de répondre à la colère raciale par un film, comme l’a fait Gerima, cependant les blancs ne sont pas les fautifs de tous les maux du monde. Ce sont plutôt des constructions et hiérarchies sociales, engendrant tout types de politiques gangrénées qui provoquent des situations aussi instables que la mort de George Floyd. Si Rodney King était décédé de ses blessures en 1991, les émeutes auraient eu une tournure bien différente et l’histoire le montre tous les jours, elle ne fait que se répéter.

Les temps changent, merci, on ne l’avait pas remarqué. Le problème est que dans le film, Jay revient de nombreuses années plus tard et voit son quartier totalement modifié. Rejeté à la fois par les siens et par les nouveaux arrivants, il sombre dans une sorte de crise identitaire lui faisant perdre ses repères. Ce qu’il n’accepte pas, c’est de voir la communauté blanche s’emparer de son quartier. Comme dirait un rappeur français blanc bien connu par chez nous : « C’est la loi du marché mon pote, t’es bon qu’à te faire virer ». Bien que la punchline soit totalement décontextualisée de son sujet d’origine, elle fonctionne pourtant ici à merveille. Cette problématique de gentrification n’est pas un sujet exclusif aux blancs. Et surtout il s’agit d’un évènement bien plus populaire aux États-Unis qu’en France où de riches promoteurs s’amusent à racheter l’entièreté d’un quartier, parfois même une ville entière. Et la scène de proposition de rachat de sa maison familiale dans Residue est assez éloquente. Même s’il est évident qu’il s’agit souvent de familles blanches qui en font l’usufruit par la suite, il s’agit avant tout de classes sociales nettement supérieurs à la moyenne et dont la très grande majorité des blancs aujourd’hui ne font pas parties. La gentrification est un processus qu’il serait inexact de réduire au remplacement d’une population de couleur par une population blanche. Et surtout dont le fautif est le blanc exclusif. La problématique est bien plus profonde et perverse que cela, et le réduire continuellement à une simple opposition de couleur de peau ne fait du bien ni aux noirs, ni aux blancs, ni à aucune autre communauté basée sur une couleur de peau quelconque ou une origine ethnique. Mais bénéficie simplement à une caste sociale qui réussi sans cesse à monter les communautés les unes envers les autres en se faisant tranquillement oublier de celles-ci.

La véritable grosse problématique évoquée dans Residue se situe à la base de tout. Aux Etats-Unis il y a eu des regroupements massifs de communautés, encartées dans des quartiers populaires à dominance noires, latines, italiennes, asiatiques et bien d’autres encore. L’histoire le révèle sans cesse, et elle est commune à de nombreux autres pays, le délaissement de ces quartiers par les autorités et surtout par les différents gouvernements, les rend violents. Violents car en perte d’éducation, en perte de moyens financiers, en perte de considérations sociales etc. Ces quartiers et ces communautés finissent par se débrouiller comme ils peuvent et finissent par sombrer dans des travers qui leur coûte leur réputation. Il y a donc toujours ce double discours sur qui est le véritable responsable de nos malheurs, qui est une problématique récurrente dans les films traitant des luttes raciales. Le discours du film s’essouffle sur la longueur donnant le sentiment que le personnage principal offre exactement l’image qu’on craint de lui et qu’il cherche à se venger de ce qu’il a produit.

Le réalisateur s’enfonce un peu trop dans cette excuse alors qu’il ne semble pas vraiment être la personne la plus affectée par certaines des questions qu’il traite. Ses parents sont cinéastes et sa famille tient une petite librairie a priori très active pour sa communauté, avec de nombreux ouvrages de leur histoire. Il possède en lui une richesse incroyable de la culture afro-américaine. Par le biais de son personnage principal, Gerima ne peut se soustraire de tout ce qu’il aborde avec lui. Il est parti de ce quartier, l’a laissé mourir sans s’en préoccuper et pense être le digne héritier d’une vingtaine d’années de colère et de mal-être en revenant tel un vengeur de la cause noire. Pourquoi s’affairer à développer une haine mal placée ? Il est à toutes les étapes de production de son long-métrage et manifestement il est doué pour cela. Pourquoi se faire porte-parole d’une polémique qui ne l’affecte pas autant que ça ? Il aurait pu combattre des préjugés avec l’amour de sa culture plutôt que la haine de l’opposant dont il croit être légitime. Dans son film, il est l’unique responsable de son mal-être mais refuse de l’admettre. C’est aussi souvent le cas dans la vie où beaucoup refusent de se battre avec les armes à leur disposition selon les règles du jeu établies. Et finissent par tout perdre car ils se sont trompés d’ennemis. L’arme politique est corrompue certes et n’est pas la seule à disposition des citoyens. Pour autant, la renier et ne pas prendre en compte son pouvoir, c’est accepter de perdre sans avoir pris part au combat. On en sort sans les honneurs et on n’échappe pas aux humiliations du vaincu.

Au final le point de vue du film n’est peut-être pas aussi binaire qu’il le laisse paraître. Le point de vue de son personnage principal l’est, c’est un fait. C’est toute la problématique du film. Perdre des repères familiaux acquis depuis sa naissance. Et Jay part totalement en vrille durant l’acte final en voyant qu’il est le seul à partager une colère qui arrive des années trop tard. Pourquoi être parti ? Pourquoi s’éprendre de cette mission si longtemps après son départ ? La vie a continué d’avancer sans lui, et il n’est ni fautif de la situation ni récipiendaire de la haine de celle-ci. Il n’a rien fait pour empêcher son quartier de se gentrifier mais il veut se venger quand même. Et en extériorisant cette colère, il ne fait qu’admettre la bonne décision à gentrifier le quartier. C’est encore cette histoire du serpent qui se mord la queue. En continuant irrémédiablement cette distanciation entre les communautés, il ne fait qu’alimenter la haine raciale. À l’image de la scène de fin où il passe à tabac un blanc qui a, selon lui, changé de trottoir à sa vue. C’est sûr que vu comme ça c’est une erreur, il aurait carrément mieux fait de faire demi-tour. Mais qu’est-ce que tout cela veut dire ? Que le blanc est une tare de la société ? Que le noir n’a pas sa place dans celle-ci ? Non, cela veut simplement dire que conserver des oeillères sur les problématiques raciales ne profite ni aux blancs, ni aux noirs, ni à n’importe quelle autre communauté mais simplement à des riches qui continuent d’appauvrir de misérables familles pour s’enrichir sur leur dos. À une époque où les médias font leur beurre sur cette histoire du grand remplacement, il est d’autant plus cocasse de voir que c’est un noir qui se plaint de voir des blancs les chasser de chez eux. En réalité, la vie n’est pas une question de couleur même si les médias et autres gens de pouvoir continuent de nous le faire croire. La vie n’est qu’une question d’argent. Quand il s’agit de mettre du beurre dans les épinards, vu à quel point cet aliment est dégueulasse, ce n’est certainement pas pour se confronter selon sa couleur de peau, ses origines ethniques ou ses croyances religieuses. Chacun cherche un toit dénué de trou pour y élever sa famille correctement. Alors chacun fait ce qu’il pense être le mieux dans cette optique. Si les conclusions quant à elles finissent par dériver sur les couleurs de peau, c’est qu’il y a quelques manipulateurs en amont qui font bien leur travail et que l’on laisse une fois de plus, trop souvent tranquilles.

Sur sa base, l’histoire est intéressante. Elle montre en fin de compte un jeune de quartier en perte de repère, rejeté par son ancienne vie, ne se reconnaissant pas dans cette nouvelle société changeante. Le problème est que la société change pour diverses raisons. Souvent il y a des raisons d’insalubrité. Les quartiers populaires sont vieillissants et n’ont pas encore connu le renouvellement industriel qui est omniprésent en Amérique. On connaît moins ce phénomène en France bien qu’il soit totalement actuel tant le paysage est parasité de travaux à chaque coin de rue. Forcément, les quartiers qui ont vu le jour il y a tant d’années finiraient par se voir intégralement reconstruire. Et la volonté de gentrification n’existe pas vraiment, elle se fait seulement après lorsqu’on décide de ne pas mélanger les logements sociaux avec les autres. Mais cette demande de démarcation entre les deux classes sociales s’explique aussi par le manque de savoir vivre en communauté subit notamment par des émeutes ou des saccages à répétition. Ces phénomènes de saccages ont rendu certains quartiers mal famés et sont souvent l’une des raisons majeures de ce renouveau. Même si les saccages vont également de pair avec le vieillissement des infrastructures, il est surtout le manifeste d’une forte violence qui pousse les gens à la peur, accentué par des médias peu scrupuleux. Comme dirait un rappeur noir bien connu de nos contrées : « Quand la douleur est réelle, dites aux médias qu’c’est pas la peine de la scénariser. L’instrumentaliser, c’est enfermer les appels à l’aide dans une pièce insonorisée ». Mais le problème est là, en faisant la loi un peu comme on le souhaite on finit forcément par s’attirer des ennuis. D’ailleurs Ladj Ly l’explique très bien dans Les Misérables sorti en 2019, de même que Cédric Jimenez dans Bac Nord en 2021. Les enjeux ne sont pas les mêmes et les quartiers décris par Meriwa dans son film ne seraient certainement jamais devenus aussi mal famés que ceux représentés dans les deux films suscités. Mais bien d’autres quartiers des États-Unis n’ont pas eu le même traitement et des films et séries comme The Wire l’ont particulièrement bien démontré. Residue n’est pas un film violent contrairement aux comparaisons faites précédemment mais ses propos sont durs. Le fond du film fait totalement contraste avec l’apparence enfantine de son récit. Récit d’ailleurs particulièrement bien construit et développé. Le fait est que le film évoque de très nombreux point sur la vie en société et les relations intercommunautaires particulièrement intéressantes. C’est son traitement final qui oriente vers une idéologie douteuse et empêche la prise de recul sur la situation. La conclusion semble si nette et catégorique qu’elle sonne comme une vérité absolue, ce qui n’est malheureusement pas le cas, ou certainement pas de manière générale. Pour autant avec son premier film, Merawi Gerima montre qu’il est un excellent faiseur d’image et qu’en plus de cela, il sait parfaitement bien raconter une histoire. C’est précisément pour cela que Residue semble à ce point destiné à débat.

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